Scorsese est un grand cinéaste
de la violence, de Taxi Driver aux Infiltrés
en passant par Gangs of New York ou La dernière
tentation du Christ. De la violence partout, dans les images,
dans les faits relatés, dans les sentiments.
Dans cette narration d'une quête perdue d'avance, la violence
ne vient pas tant des personnages que de ce silence, celui de Dieu.
Des hommes croient en un dieu unique et tentent de propager cette
croyance, c'est tout à fait compréhensible, nous sommes
au dix-septième siècle et il est un peu difficile
d'être athée à cette période. Ces hommes,
des prêtres jésuites un peu ravagés, s'exposent
à tout un tas de misères lorsqu'ils débarquent
au Japon où le Christianisme est devenu interdit. Et surtout,
ils mettent en danger la population locale minoritaire qui est encore
chrétienne. Leur présence et leur obstination sont
la cause de répressions sanglantes. Et lorsqu'ils s'adressent
à Dieu, rien, silence là-haut. Ça ne m'étonne
pas, mais eux, si, un peu. Pour moi, c'est facile, je suis comme
l'enfant à qui on a enfin dit que le père Noël
n'existait que sur les images. Pour ces hommes-là, c'est
plus compliqué.
Scorsese s'empare de leur histoire en faisant un film classique
dans sa narration et splendide visuellement parlant : les éclairages,
la composition des plans, le soin apporté à la photographie,
c'est une succession de tableaux, qu'il s'agisse de scènes
intimistes (beaucoup sont censées être éclairées
à la bougie) ou de vues larges sur une nature magnifique.
Cette splendeur n'est pas tout, il y a des personnages, un récit
et face à ce dernier, pour un spectateur athée, il
y a deux options : la première est un intérêt
poli, plus historique que moral, qui se mue rapidement en un léger
ennui un peu agacé : des scènes d'apostasie (reniement)
se succèdent de façon répétitive : tu
mets le pied sur une figure de ton dieu, on te laisse la vie sauve,
tu refuses, tu ne vas pas faire long feu, et ce n'est pas faute
de t'avoir prévenu. Plus subtil, tu refuses parce que tu
es prêtre (ça se comprend), on te laisse tranquille
(enfin presque, tu restes en prison) et on en tue d'autres devant
toi. Et là-haut, le divin est toujours muet. Ce qui donne
lieu à des scènes d'intense suspense, mettra-t-il
le pied ou ne le mettra-t-il pas ? Le personnage de l'Inquisiteur
japonais, à ce titre, est formidable, un vrai méchant
pervers au sourire destructeur, un plaisir, au contraire du prêtre
joué par Andrew Garfield (rien à voir avec le chat,
dommage), qui n'en finit plus de se faire des nœuds au cerveau,
ressemble à Jésus et n'a pas une once de charisme
(ni d'humour, mais ce n'est pas le sujet). Bref, une histoire de
culpabilité, de trahison, de rédemption, très
Scorsésienne, mais ça fonctionne tout de même
drôlement mieux avec la Mafia italienne à New York.
La deuxième option est un questionnement face à cet
entêtement de la part des personnages, qui en rappelle d'autres.
L'évangélisation partie d'Europe a fait tant de victimes
en son temps qu'elle n'est pas sans évoquer les exactions
de l'Etat Islamique (et encore, à côté, DAESH
et Cie, c'est de la guerre d'opérette). Les religions monothéistes
sont, sans parler de la foi personnelle des croyants qui croient
à ce qu'ils veulent, des machines de guerre, des entreprises
de conquête pas seulement religieuses, mais idéologiques,
politiques, impérialistes. L'histoire racontée dans
Silence montre des Japonais qui se défendent comme ils
peuvent (et ils le font très bien) de cette invasion beaucoup
moins spirituelle qu'il n'y paraît. En Asie, la Nature est
au-dessus de tout. En voulant exporter leur dieu unique, vengeur,
culpabilisateur et terriblement humain (Dieu est amour, sans doute
mais d'un amour vache, parlez-en aux Indiens d'Amérique,
par exemple…), les Européens se sont pris parfois des
baffes. Pas assez.
Dernier sujet d'agacement : dans Silence, on entend du
japonais (très peu), et surtout de l'anglais, qui est utilisé
comme si c'était du portugais (les prêtres jésuites
sont portugais). Ça ne ressemble pas à de l'Impérialisme,
ça ?