Toute une famille se réunit
pour la commémoration rituelle après la mort du père,
dans un petit appartement à Bucarest… Un film français
sur ce sujet, tourné par Sautet, ou par Chéreau, mettrait
les personnages aux prises avec leurs fantômes, il y aurait
des engueulades, des réconciliations, des secrets dévoilés…
Mais ce n'est pas un Sautet, ni un Chéreau. Il y a bien des
affrontements, des révélations, des choses imprévues,
mais c'est clairement un film roumain, et s'il n'y a pas véritablement
d'école roumaine cinématographiquement parlant, il
y a bien un style roumain, commun à quelques réalisateurs,
dont Puiu fait partie.
La vision de ce film est à la fois une épreuve pour
le spectateur, et une expérience passionnante. La durée
du film (presque trois heures), les très longs plans séquences,
l'accumulation des scènes où l'on a l'impression qu'il
ne se passe rien (seulement l'impression) concourent à tester
la résistance du spectateur : il lui faut être attentif,
rien n'est mâché, on est loin d'un cinéma confortable
où tout lui serait expliqué… et dans le même
temps, pour les mêmes raisons, par la grâce des mêmes
procédés techniques, c'est un trésor d'intentions
qui se révèle. C'est un ballet de portes qui s'ouvrent
et se ferment, des personnages qui passent et repassent, échangeant
parfois de façon succincte, puis se lançant dans un
dialogue (diatribe parfois, drôle ou féroce, anecdotique
ou crucial…) d'une dizaine de minutes. C'est exactement comme
dans la vie, et certains peuvent donc être rebutés
par cette forme de fiction, et pour d'autres, parce que justement
la vie telle qu'elle est n'est jamais montrée au cinéma
tout à fait dans sa vérité cruelle, décevante,
déstabilisante, effarante, réjouissante…, ce
récit-là est complètement sidérant,
allant jusqu'à une sensation d'hypnotisme. Ces gens-là,
sur l'écran, sont des acteurs, vraiment ? Les blancs dans
les conversations, les regards vides, les paroles qui se superposent,
les tableaux vivants que forment les personnages vus sous des angles
incomplets, tout pourrait passer pour de l'approximation, alors
que tout est millimétré, détaillé à
l'extrême.
Cette mise en scène d'une subtilité formidable est
au service d'une histoire, celle d'une famille bien vivante, déchirée,
recomposée, endeuillée, écartelée par
l'Histoire de la Roumanie, dont les membres s'affrontent, s'aiment,
se détestent, se supportent un temps puis plus du tout, finissent
par partager quelque chose, quelques minutes de complicité,
des bribes de souvenirs. Les mots filent, pour ne rien dire, et
puis une phrase tranche, jetant un silence, ou bien n'est relevée
que quelques minutes après. Rien n'est pardonné tout
à fait, rien n'est définitif, on laisse la famille
au bord du gouffre, à peu près au même endroit
qu'au début, mais personne n'est tombé…
Splendeur absolument pas spectaculaire, c'est une œuvre en
forme de patchwork pathétique qui parle de l'Humanité
avec un langage unique.