En dehors d’un cercle d’initiés, personne ne connaît
cette femme peintre, à la condition plus que modeste, découverte
par hasard par un collectionneur. Cette ignorance du public est un
atout pour le film : ce ne peut être qu’une découverte,
au contraire d’un Van Gogh ou d’un Vermeer. L’autre
atout, c’est Yolande Moreau, actrice formidable, capable d’exprimer
une multitude de sentiments, passant de l’extase à la
douleur, jouant de son corps sans aucun complexe. La performance n’est
pas dans le mimétisme avec un personnage réel, comme
ont pu le faire Marion Cotillard avec Piaf et Sylvie Testud avec Sagan.
Séraphine n’a pas sa place dans la mémoire collective,
l’actrice doit donc beaucoup inventer, et sa composition est
saisissante, elle n’en fait pas un cliché de l’artiste
maudit qui n’appartient à aucune école, elle fait
ressentir au contraire une grande complexité, la rendant attachante,
exaspérante, ayant avec le divin une relation ambiguë,
déconcertante, d’une profonde humanité tout en
se coupant la plupart du temps de la compagnie de ses semblables.
Face à une telle personnalité, autant celle de l’actrice
que de l’artiste, le réalisateur a l’intelligence
de ne pas opposer une mise en scène voyante, à effets
: discrète et pourtant sans fadeur, intégrant une vision
de la nature très forte mais qui n’imite pas les tableaux
de Séraphine. Pas de mouvements de caméra intempestifs,
pas de cadrages hallucinants, pas d’explosion de couleurs et
cependant une beauté brute, sans joliesse, un romantisme à
l’état pur, en quelque sorte, mais qui ne laisserait
aucune place au pathos.
Le destin de Séraphine tient le spectateur en haleine jusqu’au
bout, et ce malgré l’absence d’histoire d’amour
et la relative faiblesse des autres personnages. Un très beau
film, dont il serait dommage d’attendre le passage à
la télé pour l’apprécier…
Pour
voir la peinture de Séraphine