C'est compliqué.
Si vous êtes…boulanger et qu'un film raconte une histoire
dans le milieu de la boulangerie, vous irez le voir, et vous y trouverez
des vérités, des approximations, des contre-vérités,
vous risquez d'en sortir touché et agacé… Je
suis maître d'école (prof d'école, dit-on maintenant,
mais l'appellation change-t-elle quelque chose ?), ET cinéphile
écrivant des bouts de trucs sur les films que je vois : dans
le cas de "Primaire", je ne peux me défaire
de mes deux casquettes !
Le film raconte d'abord une histoire, et même plusieurs histoires
dans lesquelles le personnage principal est au centre de chacune
d'elles. L'enfant délaissé, la fille handicapée
et son auxiliaire de vie scolaire (AVS), l'enfant qui ne sait pas
lire au CM2, la maîtresse divorcée et son fils dans
sa classe, la maîtresse qui craque pour un père d'élève
(euh, pas vraiment un père), tout était en place pour
un beau film choral… Là, tout réuni sur une
même enseignante et ses élèves (ou quand il
ne s'agit pas de son élève, elle le prend sous son
aile), c'est parfois too much. Mais chaque histoire a sa part de
vérité, qui est parfois la mienne ou la vôtre
si vous enseignez aussi, et parfois très éloignée
d'une vérité quelconque.
Le mérite (et le défaut aussi) du film est de ne pas
nier la complexité et la diversité de ce boulot. Le
scénario tente d'aborder une multitude d'aspects du quotidien
d'un enseignant en primaire (en élémentaire serait
plus juste), parfois jusqu'à l'overdose, parfois avec ce
qui me semble une grande justesse (mais c'est juste ma vision, je
n'ai finalement connu que peu d'écoles dans ma vie professionnelle),
parfois dans la caricature, le plus souvent dans un souci de réalisme
et de sincérité, les deux n'allant pas toujours ensemble
: Sara Forestier est visiblement très investie dans le rôle,
au moins autant que son personnage dans son métier, c'est
d'une grande sincérité et cela fait croire au personnage
et en même temps, cette surdose d'énergie alliée
à une exigence d'authenticité des situations et de
ce qui est dit, fait parfois basculer le film dans des schémas
un peu démonstratifs. On pourrait revoir le film plusieurs
fois et lister ce qui semble juste, parfois très juste ("je
sais pas ce que vous avez, ce matin !", quel enseignant ne
l'a pas dit une centaine de fois ?), ou un peu bizarre, carrément
décalé (et même, dans ce qui paraît décalé,
il y aurait certainement quelque part une maîtresse d'école
pour dire, non, ça je l'ai déjà vécu…).
C'est donc compliqué, parce que Primaire répond
aux critères du film français populaire, avec sa bonne
dose d'humour, ses scènes larmoyantes et ses bons sentiments,
tout en faisant preuve d'un désir de communiquer sur le métier
de prof d'école avec justesse, et se pose tout de même
comme une fiction avec plusieurs points de vue de la réalisatrice
: oui cette profession est usante, oui il y a, parmi celles et ceux
qui l'exercent, des personnes qui font don d'elles-mêmes parce
qu'elles ont une vocation ancrée au plus profond, mais aussi
des blaireaux qui soit n'en rament pas une, soit sont tellement
bas de plafond que vous préfèreriez voir votre enfant
n'importe où mais pas face à ces fossoyeurs de l'ouverture
au monde. Et puis, il y a tous les autres, dont je pense faire partie,
qui ne sont ni des chevaliers de l'Education, ni des abrutis. Bien
sûr, il y a autant de façons d'enseigner et de façons
d'être face à des élèves qu'il y a d'enseignants,
toutes les écoles sont différentes, et aucune œuvre
de fiction (et aucun documentaire non plus) ne peut rendre compte
de cette réalité, de cette diversité. La force
du film, c'est de montrer une réalité parmi d'autres,
une réalité fabriquée avec de petits bouts
pris un peu partout, cela peut parfois sembler caricatural ou conceptuel,
mais il résulte que depuis l'excellent "ça commence
aujourd'hui" de Tavernier, je n'avais pas vu sur les écrans
une école aussi crédible que celle de Florence Mautret.