Je l'avoue : il m'a fallu
un deuxième contact pour saisir un point essentiel du scénario,
qui m'a été signalé par des spectateurs plus
attentifs (ou moins hypnotisés ? ou moins bas de plafond
?) que moi…
C'est d'abord un très bel objet esthétique, la lumière,
la photo, le cadre, la musique, le travail sur le son, tout est
soigné, léché, maîtrisé, et il
faut bien dire qu'on peut tomber en extase face à cette beauté
sobre, n'ayant pas le clinquant métallique de nombreuses
productions de SF. L'entrée dans le vaisseau, par exemple,
s'apparente à une immersion dans un temple égyptien
qui aurait été débarrassé de toutes
ses peintures. C'est minéral, étrange, planant, légèrement
inquiétant. Côté humains, les écrans
de contrôle ne volent pas la vedette aux personnages, pas
encombrés par une technologie puissante, tout est fait avec
les moyens du bord, quelques hélicos, des ordinateurs de
bureau, des scaphandres plutôt légers : cette science-fiction-là
est peut-être la plus crédible qu'on ait vue depuis
longtemps.
La musique signée Johann Johannsson accompagne à merveille
cet aspect visuel très puissant, on est bien loin des envolées
lyriques et symphoniques de John Williams, Hans Zimmer ou James
Horner, bien plus proche d'un Max Richter (une des compositions
de ce dernier ouvre et ferme le film) : c'est mystérieux,
fluide, semé de percussions sourdes, ça avance par
vagues et reflux, cette musique-là participe au film pleinement,
elle n'illustre pas, elle sert le récit magnifiquement.
Tout cet aspect formel plutôt exigeant et original pour une
œuvre de ce calibre, destinée à un public large,
ne serait rien, bien sûr, s'il n'y avait cette histoire qui
fait plusieurs paris audacieux.
Attention pour ceux qui n'ont pas vu le film, et qui souhaiteraient
n'en rien savoir, ne lisez pas la suite !
En premier lieu, le personnage principal est une linguiste. Les
mots avant toute chose. Au début était le verbe…
Aux militaires qui exigent de savoir ce que veulent les nouveaux
arrivants, la linguiste leur dit qu'il faut d'abord se présenter,
se mettre d'accord sur quelques notions élémentaires.
Et ça ne se fait pas en deux heures…
Puis les extra-terrestres ne sont pas des monstres avides qui en
voudraient aux richesses de la Terre, ou détruisant tout
sur leur passage (rien, mais rien à voir avec Independence
Day !); leur technologie, si technologie il y a, semble tellement
éloignée de la nôtre qu'il est bien difficile
de faire un parallèle avec des savoirs scientifiques terrestres.
L'approche du temps, de cette quatrième dimension essentielle
pour la compréhension du monde, est un grand classique de
la SF : voyages à travers les époques, compression
ou extension, jeux sur la mémoire… ce Premier contact
(Arrival, le titre original, semble plus approprié)
parvient à l'aborder d'une façon inédite, et
surtout le réalisateur maîtrise tellement bien son
sujet qu'il nous perd, un temps, dans la chronologie, pour notre
plaisir. Tant est si bien que la mélancolie fait partie de
ce plaisir.
Enfin, au cœur du récit, il y a un choix. Une question
s'est posée, une personne y a répondu, elle seule
pouvait le faire. Bien sûr, ce choix n'arriverait pas ainsi
dans une réalité telle que nous la connaissons. Mais
il renvoie à d'autres choix, d'autres gouffres béants
qui s'ouvrent dans l'existence de chacun et qui n'ont rien à
voir avec un récit de SF. La direction prise dans le film
prête à de multiples questionnements humains. Chapeau,
monsieur Villeneuve.