Ces jours parfaits sont
comme suspendus au bord du vide, du rien, du néant... mais
c'est au bord, tout au bord de la ligne de chute et c'est là
que réside toute la puissance de ce film étonnement
dense, resserré sur une poignée de personnages, naviguant
entre des lieux bien définis, très peu éloignés
les uns des autres. Hommage à Ozu, certes, mais surtout un
film du grand Wenders, celui de Alice dans les villes,
des Ailes du désir ou de l'Ami américain.
Un film urbain (mais qui sait aussi bien filmer les villes ?), où
la douceur prend le pas sur toutes les tensions, qui va à
l'encontre de l'air du temps en le prenant, justement (le temps).
Et pourtant, ce n'est en aucun cas mièvre ou bêtement
consensuel. C'est formidablement contemplatif, le personnage principal
a l'œil vif, le verbe rare (très rare, qu'est-ce que
ça fait du bien !), un sens aigu de l'observation des lieux
qu'il connaît pourtant par cœur, le moindre changement,
la plus petite vibration ou variation de couleur, rien ne lui échappe.
Il est aussi dans une logique de décroissance, n'achetant
que des livres d'occasion, se contentant de très peu, pas
de télé, pas de smartphone, n'utilisant sa petite
camionnette que pour son travail et privilégiant son vélo
pour le reste. Il y a une sorte de désocialisation, aussi,
mais celle-ci est plus ambiguë : est-elle motivée par
un réel besoin de solitude, par une volonté de rompre
avec le genre humain (ou, au moins, de le maintenir à distance),
ou par une façon de se prémunir de trop grandes émotions...
?
Sa vie peut sembler terriblement monotone, répétitive,
sans surprises, et lorsque celles-ci arrivent (oh, pas des grands
chamboulements, quoique, tout est relatif), chaque spectateur sera
touché en fonction de sa propre sensibilité, probablement.
L'un y verra une résurrection, une ouverture à la
joie, une chaleur douce, quant un autre ressentira une fêlure,
un tremblement dû à un trop-plein d'émotions,
un écroulement possible. Quoiqu'il en soit, le film est un
bijou de délicatesse.