Le moins que l'on puisse dire,
c'est que ce cinéma-là n'est pas tiède, ni
consensuel, ni reposant. On en sort dérangé, bousculé,
peut-être meurtri, sans doute différent, certainement
pas indifférent.
C'est pour un petit marathon cinématographique qu'on s'engage,
deux "volumes" de presque deux heures chacun. A la fin
du premier, la fascination était manifeste, à l'issue
du deuxième, il y avait comme un écœurement,
un trop-plein de noirceur...
Lars Von Trier est un créateur, autant dans le fond que dans
la forme. Il raconte la vie, sexuelle, entre autres, d'une femme
pour qui le sexe prend une place énorme. Elle se dit nymphomaniaque,
d'autres lui donnent du "sex addict", le réalisateur
dans ses déclarations fluctuantes nous égare, il est
lui-même trop provocateur dans ses dires pour que l'on puisse
vraiment prendre ses affirmations sur ses intentions comme un reflet
exact de sa pensée, de sa volonté. On en est donc
réduit à une simple position de spectateur, et à
essayer de comprendre ce que tout cela peut vouloir dire. Est-ce
un prétexte à montrer sur des écrans classiques
ce que l'on n'y voit pas d'habitude ? Ce serait tellement réducteur
de n'y voir qu'un porno déguisé que l'on peut rayer
cette option. Est-ce au contraire un jeu à tendance psychanalytique
où un personnage plonge dans son passé et ses souvenirs,
réels, fantasmés ou carrément réinventés,
à la manière d'une Lola Montès, ou même
d'un Keyser Söze (Usual Suspects, si, si !) ? Il y a un peu
de cela, mais pas seulement. Et si on peut le recevoir comme une
version démesurée et destructrice des Mille et une
nuits, c'est aussi une longue descente en enfer, une nouvelle preuve
de l'effroyable haine du genre humain de la part du réalisateur
danois, d'une noirceur exagérée (la fin est dans ce
sens une sorte d'apothéose à l'envers, attendue et
donc décevante).
Le scénario fonctionne par chapitres bien distincts racontés
par une femme venant de se faire agresser, entrecoupés des
commentaires de l'homme qui l'a secourue et qui apparaît tour
à tour comme un bienfaiteur, un analyste, un moralisateur,
un érudit digressif, un candide éberlué...
Le film passe d'une crudité sexuelle sans aucune sensualité
à un imaginaire puissamment poétique, de plus en plus
sombre, de plus en plus désespéré au fur et
à mesure de l'avancée du récit.
Grand film blessé, terrible et magnifique, enthousiasmant
puis détestable, Nymphomaniac n'est pas à mettre devant
tous les yeux, pouvant provoquer l'adhésion profonde comme
le rejet définitif...