L'histoire est piquante et surprenante,
quoique éventée : la formidable bande dessinée
de Chloé Cruchaudet, Mauvais genre, avait déjà
raconté le destin de ce couple qui veut échapper à
la folie meurtrière des hommes. Téchiné reprend
les personnages et déroule le même récit, sans
flamboyance et avec un souci majeur : une ellipse temporelle cache
le basculement de celui qui se travestit par nécessité,
puis par plaisir. C'est bien dans ce changement que réside
tout l'intérêt du destin de ce couple. Comment et pourquoi
lui finit par désirer se faire désirer, comment et
pourquoi l'accepte-t-elle et dans quelle mesure bascule-t-elle aussi
dans le manège de son mari. Cette évolution n'est
pas montrée dans le film qui passe d'une scène montrant
Paul inquiet de ses éventuelles sorties nocturnes à
une autre scène où le même Paul devenue Suzanne
est la coqueluche d'un milieu sans tabou, où les repères
sexuels sont flous… Par dessus ce récit chronologique,
il y a l'histoire d'après, celle où Paul/Suzanne joue
son propre rôle dans un spectacle mené par Michel Fau,
vraie caricature et qui de film en film est cantonné dans
le même emploi. Le déroulé classique est volontairement
perturbé par cette mise en abyme, et ça n'est pas
tout à fait réussi, il y a de la confusion, des flottements.
Les acteurs principaux n'emportent pas l'adhésion du spectateur.
Pierre Deladonchamps est un peu binaire : il veut être un
homme viril et pourtant il adore le désir qu'il suscite.
Il manque sans doute un entre-deux... Céline Sallette en
femme éprise et prête à tout a quelques fulgurances,
quelques instants de sincérité pure. Mais la plupart
du temps, elle ne semble pas vraiment là. Elle ne se donne
pas. Son interprétation est froide, comme désincarnée.
Le film finit par ne donner qu'une envie, relire la BD qui était
bien plus prenante.