Tiens, encore un Ken Loach et
encore une palme d'or, au passage. On pourrait discuter du bienfondé
d'une telle récompense pour un film et un réalisateur
qui n'apportent pas grand-chose cinématographiquement parlant.
On pourrait. Il est aussi assez cocasse que le festival de Cannes,
tout en paillettes, en robes du soir coûtant des milliers
d'euros et en réceptions fastueuses, couronne régulièrement
des cinéastes (Outre Loach, les frères Dardenne ont
eux aussi décroché deux fois la palme d'or…)
s'intéressant à "ceux d'en bas", des personnages
qui, s'ils existaient vraiment, seraient à des années
lumières de la folie cannoise.
Oublions les petites polémiques sur les palmarès,
et ne voyons que l'œuvre, son scénario, sa mise en scène,
ses acteurs… C'est un cinéma intègre, droit,
tout à la fois modeste et révolutionnaire. Modeste
dans sa forme, avec un récit classique, des prises de vue
sans artifices, un montage sans surprises, une bande son réduite
à sa plus simple expression (une seule musique illustrative,
et c'est sur le générique final), et révolutionnaire
dans son propos, en élevant au rang de héros un homme
du peuple, un perdant pas même magnifique, une victime de
la libéralisation générale du Monde qui transforme
tous les systèmes de protection sociale en machines froides
et impersonnelles n'ayant au final plus qu'un seul souci : le rendement.
L'histoire de cet homme témoigne avec de multiples et minuscules
détails comment ceux qui pouvaient se tenir droit il y a
encore dix ou vingt ans, qu'ils soient charpentiers, ouvriers qualifiés,
artisans ou "petits" employés, pères ou
mères de famille aux revenus modestes sont devenus extrêmement
fragiles, susceptibles de s'écrouler socialement en cas de
coup dur, parce que la solidarité organisée par les
Etats s'émiette peu à peu, pendant que des actionnaires
s'enrichissent sans scrupules. Ce n'est même plus un discours
d'extrême gauche un peu tendancieux, c'est juste la réalité.
Ce qui est criant au Royaume Uni et dénoncé par Ken
Loach est en train de s'infiltrer dans le système d'aide
sociale ici en France, de façon tout aussi insidieuse.
Alors, Daniel Blake, œuvre mineure, artistiquement pauvre ?
On s'en moque, c'est une œuvre pour l'intérêt
commun, pour la survie des classes prolétaires (vous savez,
celles qui sont définies par la lutte des classes…)
Et puis, niveau émotions, vous serez servis, avec au moins
un passage qui pourrait bien rentrer dans le Panthéon des
scènes marquantes de ce début de vingt-et-unième
siècle, lorsque Katie, la mère célibataire
que rencontre Daniel Blake, est accueillie à la banque alimentaire
et qu'elle craque… Rien de spectaculaire, mais toute la détresse
du personnage est là, dans ces quelques minutes. C'est minuscule
et énorme en même temps.
Ah oui, une dernière chose, Kaganski, le célèbre
critique des Inrocks, parle à propos du film de manichéisme
proche de la démagogie, de tract sentimentaliste,
imprégné d’un pathos mélenchonien,
de grosses ficelles, d'un film qui relève plutôt
du chantage à l’émotion que du cinéma.
Kaganski, tu sais quoi ? Je t'emmerde.