Alice Rohrwacher crée
des univers drôlement singuliers, à la fois très
crédibles et teintés d'irréalité, entre
naturalisme et poésie pure. L'apiculteur pas très
happy (quoique…) est une sorte de monstre tyrannique, imposant
à toute sa famille sa façon de voir la vie, un écolo
pur et dur, pas tendre du tout, en admiration secrète devant
ses filles, voulant leur faire plaisir mais toujours en retard d'un
désir… C'est un personnage complexe, ambigu, sombre
et lumineux. Sa fille ainée est celle par qui les choses
arrivent, par qui les choses changent, par qui le monde extérieur
entre dans le microcosme familial, faussement organisé, un
semblant de bonheur, un enfer doux… C'est elle, Gelsomina,
la première consciente que tout ne tourne pas rond…
C'est filmé avec un sentiment de liberté, parfois
déstabilisant, parfois hypnotisant (un essaim d'abeille se
révèle ici formidablement cinématographique),
presque toujours surprenant de par son montage, ses ellipses, ses
silences. Le temps ne s'écoule pas de façon ordinaire
dans un film d'Alice Rohrwacher. La fin laisse tout en suspens,
c'est au spectateur de la reconstruire, selon sa propre façon
de voir le Monde. A quel instant commence le rêve, jusqu'où
va la vie et quelle est la part d'imaginaire dans les heures et
les jours qui s'écoulent…
