Pourquoi va-t-on au cinéma
? Que cherche-t-on dans les films que l'on choisit d'aller voir
? Du pur divertissement, des émotions, une occasion d'y apprendre
quelque chose, des surprises, des claques qui font que la vie n'est
pas tout à fait la même en sortant ? Un peu de tout
à la fois ?
Cette "Marche" a au moins un bienfait, reculer le curseur
de la mémoire jusqu'en 1983 pour certains, en éveiller
d'autres sur un événement inconnu d'eux, parce que
trop jeunes à cette époque, ou même pas nés…
(comment est-ce possible, c'était hier, non ? Oups, trente
ans, merde alors)
On en sort avec beaucoup de sentiments contradictoires, et les commentaires
des uns et des autres s'avèrent tous justes et inappropriés
à la fois, comme celui de Julien Dray affirmant qu'il s'agit
d'une "réécriture
de l'histoire". Oui, bien sûr. Il a parfaitement
raison. Mais c'est un film de fiction, "inspiré par
la marche contre le racisme de 1983", et comme tout film historique,
il ne peut donner des faits qu'il évoque qu'une vision parcellaire,
partiale, déformée… mauvais procès de
la part de Julien Dray, donc.
Alors oui, les personnages sont bien dessinés, bien marqués,
l'aspect choral fonctionne impeccablement, toutes les ficelles mélodramatiques
sont utilisées pour maintenir l'intérêt, faire
rire et pleurer, de l'avalanche de bâtons dans les roues (pardon,
dans les chaussures) des marcheurs jusqu'à la montée
en puissance du mouvement avec l'explosion de joie finale digne
d'une victoire olympique, en passant par l'histoire d'amour impossible,
les respirations humoristiques, les bons sentiments (ah la fierté
du père envers son fils, ah l'épicier individualiste
qui s'humanise peu à peu, ah le bon curé porteur du
projet qui lui aussi se permet de douter et d'avoir peur…),
le pathos bien surligné par la musique hollywoodienne, le
récit sans une goutte d'ennui guidé par un montage
nerveux et très efficace…
Il y a beaucoup de scènes drôles ou qui font froid
dans le dos, bien vues, bien amenées, bien rythmées
(les deux abrutis dans leur 4X4 qui agressent les marcheurs verbalement,
et qui se font reprendre sur leur français par l'étudiante
beur, c'est à la fois formidable et bourré de clichés)
et aussi beaucoup de frustrations, de pistes inabouties, comme cette
scène montrant une confrontation entre les marcheurs et une
assemblée de personnes issues de l'émigration, étudiantes
(?), membres d'une institution (?), d'une association (?), et les
accusant de devenir trop célèbres et donc de faire
croire, par cette notoriété nouvelle, que le racisme
a disparu ou va s'éteindre. Le débat pourrait être
passionnant, il n'est qu'esquissé.
Au final, il y a plus de sources d'agacements, de sentiments de
s'être fait avoir par l'émotion pour se donner bonne
conscience, que de véritables impressions d'avoir vu une
belle œuvre.