Ma Loute

Bruno Dumont

L'histoire

Eté 1910, Baie de la Slack dans le Nord de la France. De mystérieuses disparitions mettent en émoi la région. L'improbable inspecteur Machin et son sagace Malfoy (mal)mènent l'enquête. Ils se retrouvent bien malgré eux, au cœur d'une étrange et dévorante histoire d'amour...

Avec

Fabrice Luchini, Juliette Binoche, Valeria Bruni Tedeschi, Jean-Luc Vincent, Brandon Lavieville, Raph, Didier Despres, Cyril Rigaux

Sorti

le 13 mai 2016


La fiche allociné

 

 

La critique d'al 1

Festival de la démesure

 

Quelle mouche a donc piqué Bruno Dumont ? Ce n'est plus un virage cinématographique qu'a pris le réalisateur, c'est un chamboulement (presque) complet de ses manières de filmer, de raconter une histoire, de diriger ses acteurs… Où est passée la rigidité de "Flandres" (pour ne citer que ce film) qu'on n'est pas obligé de regretter, mais qui était la marque de fabrique d'un cinéaste à la radicalité affichée ? Cette dernière n'a d'ailleurs pas disparu, elle s'est simplement déplacée : d'une rigueur très austère et très maîtrisée, Dumont a évolué vers une outrance non moins calculée dans presque tous les domaines de sa mise en scène.
Son histoire, même si elle est basée sur une opposition sociale, est totalement délirante, bascule dans le fantastique, fait un détour vers l'horreur, montrant au passage une enquête policière farfelue vouée à l'échec. On n'est pas si loin, finalement, du Fargo des frères Coen et de sa galerie de frapadingues lâchés dans des situations sordides…
Les décors, naturels ou non, semblent issus d'un imaginaire poétique fortement déprimant : splendides images d'un bord de mer incertain, flou, que même un soleil éclatant ne parvient pas à rendre chaud… on pourrait se croire dans un Tarkovski, excepté la villa inspirée d'un temple égyptien mais en pur béton : hallucinant, d'autant plus qu'elle existe en vrai !
Les personnages sont tous des illuminés, des extasiés, des fous furieux et les acteurs semblent s'en donner à cœur joie (enfin, on l'espère pour eux, sinon il y a de quoi se tirer une balle, ou mieux, se noyer…), tout est prétexte au sur-jeu démultiplié, les plus connus d'entre eux en font tous des tonnes, Luchini et Binoche sont splendidement ridicules, ou ridiculement splendides, c'est au choix. Et dans le même temps, Dumont a visiblement demandé à ses acteurs non professionnels de jouer l'impassibilité, c'est un festival de regards vitreux ou bovins. Il y a un aspect famille Groseille vs famille Le Quesnoy, avec d'un côté des populeux qui auraient poussé le curseur de l'inconvenance au maximum, et on peut même dire que le pire est largement dépassé… et d'un autre côté des bourgeois ayant atteint, piétiné et ridiculisé le seuil de la décadence morale. Luchini et son personnage sont effarants, grandiloquents, à tomber de son fauteuil de cinéma.
Si l'on rajoute là-dessus un duo de flics inspiré de Laurel et Hardy, quelques lévitations aussi soudaines qu'incongrues, une histoire d'amour terriblement romantique (et accompagnée par une musique qui l'est tout autant) entre une sorte d'ogre et un être androgyne dont on ne saura jamais le sexe véritable, une succession de chutes et de roulés-boulés sonorisés comme dans un dessin animé, un défilé sur une plage qui a quelque chose à voir avec Fellini et ses créations énormes, on se retrouve devant un objet filmique non identifié dont il est bien difficile d'extraire une quelconque émotion, avec l'impression très nette qu'il s'agit d'une création hors normes, monstrueuse, poétique, inédite… mais dont on peut sortir très dubitatif sur le sens que tout cela est censé avoir (ou pas).
Le temps, peut-être, fera son œuvre et rendra le film culte ou bien le fera glisser dans un oubli salvateur.

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