Evacuons tout de suite tout ce
qui est un peu irritant, les invraisemblances, les à-peu-près…
les voitures sont immatriculées dans les Bouches du Rhône,
et personne, mais alors, absolument personne n’a d’accent
; Sandrine Kiberlain, malgré un travail énorme semble-t-il,
ne parvient pas à nous faire croire que c’est elle qui
joue du violon, l’interprétation est trop brillante ;
mais le pire, ce sont toutes les erreurs grossières sur la
façon dont sont nommés les instits, impossible de changer
de région chaque année, un instit est rattaché
à un département… impossible aussi pour une directrice
de recruter, les nominations sont réglementées par un
système de points…
Cela n’a sans doute que peu d’importance, mais il semble
qu’il aurait été relativement facile de modifier
légèrement le scénario pour que la mobilité
du personnage de l’institutrice soit crédible…
Du coup, quelques détails (et tout est dans les détails,
dans ce type de film) sonnent comme des interrogations, sont-ils le
fruit de la volonté du réalisateur, ou bien des erreurs
supplémentaires ? L’exemple le plus manifeste réside
dans la nature de la fenêtre que le maçon vient changer
chez l’institutrice. À l’origine, il s’agit
d’une belle fenêtre ancienne, parfaitement à sa
place dans l’appartement plein de charme de Mademoiselle Chambon,
et celle qu’apporte Monsieur Jean pour la remplacer est une
fenêtre moderne, à double-vitrage certes (ce qui pour
une musicienne est un avantage certain), mais qui du point de vue
du style, ne convient pas du tout. Si l’institutrice violoniste
s’extasie une fois le travail fait, est-ce sincère (et
alors, il s’agit d’une erreur des accessoiristes), ou
bien est-elle déjà sous le charme au point de ne pas
voir l’absence de discernement du maçon, ou le voit-elle
et décide-t-elle de l’ignorer ?
Ces remarques pourront paraître pointilleuses et relever plus
du découpage des cheveux en quatre (le long des pointillés,
pour faire encore plus instit psycho rigide…) que d’un
commentaire éclairant, à défaut d’être
éclairé. Il n’empêche, c’est perturbant.
Ceci étant établi, et malgré les doutes, le film
est complètement et désespérément émouvant.
Non pas par son histoire, qui en rappelle tellement d’autres,
et qui sent puissamment le stéréotype. Les deux acteurs
(et même quatre, si l’on rajoute Aure Atika, qui joue
l’épouse, et le petit garçon, vraiment crédible),
avec très peu de lignes de dialogues, installent des personnages
marquants, profonds, éclairés de l’intérieur.
Jeux de regards, intensité des silences, étreintes pesant
des tonnes, Kiberlain et Lindon sont splendides. Enfin, surtout elle.
Mais c’est vous qui voyez, avec vos yeux et vos penchants.
Mais plus encore que la grâce des comédiens, ce sont
bien les partis pris de la mise en scène qui accrochent le
spectateur. On retrouve la lenteur, les instants creux, les hésitations
feintes que l’on avait découverts dans le très
beau "je
ne suis pas là pour être aimé". Chaque
scène surprend, non pas par son contenu, mais par son rythme,
toujours en suspension, accélérant au moment où
l’on ne s’y attend pas, et pour le reste, laissant du
temps aux échanges muets et ainsi allant jusqu’au trouble,
parfois à la gêne… Les effets rendus sur le spectateur
varieront bien sûr en fonction de ce que celui-ci est en train
de vivre, sentimentalement parlant, mais ce qui est certain, c’est
qu’ils ne seront pas procurés par une alliance banale,
classique et convenue d’images romantiques et d’une musique
sirupeuse, comme la plupart des comédies romantiques ou des
tragédies amoureuses. Ce sont bien ces soupirs entre les mots,
ces secondes d’éternité, ces glissements de douleur
et de bonheur mêlés qui nous sont donnés à
voir, à sentir. Les vibrations sont imprimées sur la
pellicule, on oublie alors les erreurs précédemment
évoquées, et on se laisse aller, c’est une valse,
triste et presque immobile.