La réalisatrice, Caroline
Strubbe, révèle un sacré sens artistique, une
personnalité originale inédite. On pense parfois au
film déjà étrange "Home" d’Ursula
Meier, pour cet univers faussement ouvert et pour la structure du
récit, ou bien au récent "La merditude des choses",
pour la langue et la rudesse des conditions de vie, et puis il s’avère
qu’il est vain de chercher des références, cet
"espace des gens perdus" est véritablement unique
en son genre, avec son décor à la fois grandiose et
glauque, sa lumière terne, ses couleurs grisâtres et
qui pourtant aident à décrire, dans la première
partie, un bonheur d’une grande chaleur… La caméra,
sans cesse mobile, presque tremblante, s’approche tout près
des personnages et parvient à capter des détails, des
regards, un grain de peau… Chaque plan est une photo, au cadre
faussement hasardeux. On est loin, très loin d’un cinéma
de divertissement, ou qui raconterait une histoire au suspense insoutenable,
ou qui ferait rêver en caressant le spectateur dans le sens
du poil. On est plus proche d’un cinéma presque expérimental,
et pourtant, malgré des dialogues réduits au minimum
(et même encore moins que ça), malgré un récit
distendu, plein de vides, les personnages existent, ils sont porteurs
d’émotions, on a parfois l’impression de mieux
les connaître que dans n’importe quel film animé
d’une volonté psychologique. Au final, lorsque le générique
déroule ses listes, on n’a pas tout à fait l’impression
d’avoir vu un film, plutôt celle d’avoir partagé
un moment dramatique et au vu des dernières images, profondément
dérangeant. On se souvient longtemps des quatre acteurs principaux
: l’homme-montagne, géant fragile au regard doux et à
l’assurance brisée ; la femme qui danse (c’est
d’ailleurs une danseuse de formation, aux faux airs de Sylvie
Testud), sensuelle, follement maternelle, pas tout à fait belle,
désemparée et pourtant pleine d’espoir ; l’autre
homme, fluet, n’osant rien entreprendre mais tenant malgré
lui un rôle de révélateur ; et puis la petite
fille, à la voix tellement cassée qu’on la dirait
masculine alors que son visage est celui d’une princesse, évoluant
dans son propre monde, hallucinée, hallucinante…