Les distributeurs du film en France
prennent le spectateur pour un imbécile, en quoi Little New
York serait-il plus vendeur que Staten Island, le titre original ?
D’autant plus que la référence à ce quartier
de New York, si particulier, est d’une importance capitale dans
les trois récits qui composent cette œuvre beaucoup plus
profonde qu’elle n’y paraît.
Staten Island, c’est en face de Manhattan, et ses habitants
peuvent voir avec envie la silhouette célèbre du quartier
le plus filmé, le plus fantasmé du monde entier. Les
trois personnages vivent en dessous de leurs espérances, et
ils cherchent tous à s’élever, à leur manière.
Parfois, ils regardent, de l’autre côté de l’eau,
les tours de Manhattan, comme ils regarderaient leur vie rêvée,
un lieu inaccessible, une existence perdue d’avance. L’épicier
sourd et muet joue aux courses mais lorsqu’il gagne enfin, ne
sait pas quoi faire de son argent, le vidangeur de fosses septiques
voudrait que son futur enfant soit plus intelligent que lui, le petit
mafieux aspire à devenir célèbre, quelle qu’en
soit la raison. Un cambriolage minable va réunir ces trois
personnages, et leurs récits respectifs, non pas emmêlés
mais l’un à la suite de l’autre, font découvrir
toutes les facettes de ce qui pourrait s’apparenter à
un polar sans flics. On revoit plusieurs fois la même scène
qui, selon notre degré de connaissance de l’histoire,
le cadrage forcément partiel, les ellipses, le point de vue
des différents protagonistes, prend des couleurs et des émotions
très différentes les unes des autres.
A la fin, tout est reconstitué, tout n’est pas rose mais
dans certains regards, il y a de quoi avoir la gorge serrée.
Petit film sans doute, mais avec une structure remarquablement intelligente
et stimulante et qui n’oublie pas de jouer aussi sur les sentiments.