Léviathan **

Andreï Zviaguintsev

L'histoire

Kolia habite une petite ville au bord de la mer de Barents, au nord de la Russie. Il tient un garage qui jouxte la maison où il vit avec sa jeune femme Lylia et son fils Roma qu’il a eu d’un précédent mariage.
Vadim Cheleviat, le Maire de la ville, souhaite s’approprier le terrain de Kolia, sa maison et son garage.

Avec

Alexeï Serebriakov, Elena Liadova, Vladimir Vdovitchenkov, Roman Madianov

Sorti

le 24 septembre 2014


La fiche allociné

 

 

La critique d'al 1

Monstre parfait

 

Une ville de bord de mer comme un bout du monde. Un bout du monde russe, avec photos de Poutine dans les bâtiments officiels et une image fugitive, sur une télé, des Pussy Riots. Des paysages somptueux mais plombés par un ciel gris, la mer jamais bleue et les immeubles comme des prisons. Sur un promontoire, une maison où la lumière rentre à flots, une maison du bonheur malgré la lourdeur ambiante. Le décor est planté, sans fioritures, les personnages peuvent entrer en scène et l'histoire se dérouler, implacable, pouvant basculer à tout instant dans la tragédie.
La corruption et les dégâts qu'elle engendre pour les hommes et ce pour quoi ils vivent, semblent être le sujet principal du film. Cela est effectivement traité, avec force, sans concessions : nous ne sommes pas chez les Américains, personne ne viendra à la fin pour réparer ce qui a été détruit et venger les outragés. Ce qui se passe à l'écran est tristement crédible, terriblement humain, profondément désespérant. Mais ne retenir de cette œuvre que son aspect dénonciateur de la société russe serait complètement réducteur. Il y a dans le trio de personnages principaux, confrontés à un vrai méchant de cinéma, tant de sentiments mêlés, tant de tendresse, d'amitié et d'amour, que tout un chacun ne peut qu'être touché et se retrouver chez l'un ou chez l'autre. Même au bout du monde, même au fin fond d'une Russie exsangue, on peut s'identifier et croire aux regards, aux mots échangés, aux émotions. L'autre, le corrompu, le puissant (ou celui qui croit l'être), n'en est pas moins humain. Au bord de l'asphyxie, ne parvenant pas à maîtriser ses colères, regard bovin, il tente de survivre, comme les autres. Les moyens qu'il emploie font naître le dégoût et pourtant il fascine, ces hommes-là aussi font avancer le monde, sans doute vers sa perte, mais il en va ainsi de l'Humanité.
La mise en scène est puissante, lourde, mais sans aucune trace de gras, pas de cadrage étonnant, pas de montage déstabilisant, tout est au service du récit. Le regard du spectateur se porte naturellement sur ce qui fait sens, sur ce qui fait avancer cette histoire. Ce n'est pas rien de captiver l'attention pendant presque deux heures trente sur une affaire d'expropriation et des dommages collatéraux qu'elle engendre. Cloué au siège, on ne se rend compte qu'à postériori du talent des acteurs, qui ne semblent jamais jouer. Ils vivent les situations, les ressentent, ou au moins nous le font-ils croire.
Une œuvre terrible, dont on ressort le ventre un peu noué, l'espoir en berne, les yeux noyés dans l'alcool tant les personnages en consomment… mais une œuvre magnifique, qui redonne goût à un certain cinéma aux apparences classiques et si fort qu'on ne peut qu'applaudir, comme devant un monstre parfait.

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