L’adaptation d’une
bande dessinée au cinéma, rien de plus facile, dit-on.
C’est le même langage basé sur l’image, les
cadres sont déjà faits, le rythme est donné…
Sauf que ça n’est pas ça du tout. La bande dessinée,
comme le dit l’excellentissime Scott McCloud, c’est l’art
invisible (L’art invisible, Vertige Graphic, dans toutes les
bonnes librairies, absolument indispensable pour tous ceux qui s’intéressent
un peu à la BD). La position des bulles, l’art de composer
avec les ellipses, l’importance des "caniveaux" (les
petits espaces entre les cases), tout a de l’importance. En
effet, le dessinateur de bande dessinée n’a le droit
qu’à environ quatre cents images pour un album de 48
pages, là où un réalisateur, à raison
de 24 images par secondes, monte à cent trente mille images
pour un film d’une heure trente, ce qui n’a bien sûr
rien à voir. Le logicien dirait, oui mais dans une image de
BD, c’est à dire dans une case, il y en a en fait plusieurs…
oui, oui, c’est bien cela, à l’intérieur
d’une case, le temps s’écoule, il n’est pas
figé, il faut donc rendre compte de ce mouvement, et c’est
un sacré boulot.
Le mérite de Largo Winch en BD, c’est, en dehors de son
excellent scénario (au moins pendant les cinq premiers albums),
son rythme, sa gestion du temps. Il se passe un nombre d’événements
incroyable dans un minimum de planches. Ça va très,
très vite. Le dessinateur (Philippe Francq) n’a que peu
de temps pour camper un personnage, pour lui donner une identité.
Comme les morts brutales sont plutôt courantes au pays de Largo,
il faut faire encore plus vite…
Le problème de l’adaptation au cinéma était
donc de donner au film cette impression de rapidité, tout en
restant clair. L’avantage de la BD, lorsque vous n’avez
pas compris, c’est que vous pouvez revenir en arrière.
On voit mal un spectateur demander au projectionniste de revenir en
arrière parce qu’il a perdu le fil du récit. Ceux
qui ne connaissent pas l’histoire de Largo risquent d’un
peu patauger au début, mais dans l’ensemble, les adaptateurs
s’en tirent plutôt bien. Ils ont réussi à
comprimer les quatre premiers albums, en élaguant, en modifiant,
en supprimant, en rajoutant aussi. Les spécialistes de la BD
n’y retrouveront pas leurs passages préférés,
le père de Largo ne meurt pas du tout de la même façon,
le héros n’est pas en prison dans le même pays,
ni pour les mêmes raisons que dans la BD, les traîtres
ne sont pas les mêmes, et finalement ces changements sont les
bienvenus : il y a aussi du suspense pour ceux qui connaissent l’histoire
par cœur. L’esprit est conservé, entre aventures
et malversations financières totalement invraisemblables, à
un détail près, malheureusement d’importance :
l’humour. Dans la BD, Largo rencontrait dès la dix-septième
planche son ami qui allait le suivre dans toutes ses aventures, Simon.
Simon pour Largo, c’est comme Obélix pour Astérix,
ou comme Haddock pour Tintin, c’est celui qui apporte un peu
de distance, c’est celui qui attire parfois le récit
sur lui, qui apporte une bonne dose d’humour. Dans le film,
pas de Simon, et personne pour le remplacer, sinon un ami d’enfance
qui n’a rien de drôle.
Cette absence fait que, parfois, le récit est un peu trop sérieux,
manquant de légèreté.
Un autre personnage créé de toutes pièces fait
très vite son apparition, et son évolution dans le film
fait penser à une autre saga. Léa/Naomie, amante, traîtresse
(ou pas), charmeuse, c’est une James Bond girl, pardon une Largo
Winch girl. Bon sang mais c’est bien sûr ! Largo, c’est
la réponse française à l’agent 007, ou
même à Mission impossible. En tous cas, une alternative
plausible, plus fraîche, plus lisible que les dernières
aventures de l’énigmatique Daniel Craig.
Léa/Naomie,
c’est Mélanie Thierry.