C'est du cinéma d'une
autre époque, qui prend son temps, qui raconte une histoire
avec des moyens simples : des personnages hauts en couleurs, une
intrigue prenante, un récit surprenant. Ça a l'air
tout bête, mais c'est d'une efficacité redoutable.
Scorsese inscrit son film d'emblée dans les très grands
classiques américains, ceux qui peuvent tenir en haleine
un spectateur qui en a vu d'autres, pendant trois heures trente
et pas une minute d'ennui.
Le contexte est celui de l'exploitation des indiens Osage, enrichis
grâce au pétrole et qui sont les victimes de meurtres
dans les années 20, juste après la première
guerre mondiale. Une sombre affaire, tombée dans l'oubli
de l'Histoire Américaine et pourtant tellement révélatrice
de la manière dont se sont faits les Etats-Unis… Scorsese
place le spectateur non pas avec le regard des enquêteurs
qui tentent d'élucider les meurtres, ni parmi les victimes,
mais, de façon surprenante et bien plus intéressante,
au cœur de la communauté blanche qui vit aux crochets
des riches Indiens propriétaires des terres pétrolifères.
Deux personnages de la même famille ressortent de cette observation,
De Niro joue l'un d'eux, une sorte de parrain avant le Parrain,
roublard, autoritaire, ambigu : pas vraiment une nouveauté
pour l'acteur, mais celui-ci est absolument formidable, toute son
expérience lui sert à être parfaitement juste
et très fin dans tout ce qu'il fait, sans aucun sur-jeu.
DiCaprio joue son neveu, hallucinant dans un rôle d'imbécile
avec lequel on ne sait jamais s'il feint ou s'il est sincère.
Jusqu'au bout, le doute est permis. Tous les autres personnages
sont au même niveau, crédibles jusque dans leurs particularités,
leurs dissonances, leur étrangeté.
Les éléments du récit s'emboîtent peu
à peu les uns dans les autres, certains sont attendus, d'autres
beaucoup moins mais au bout du compte, c'est une fresque édifiante
et peu glorieuse d'un des piliers fondateurs des Etats-Unis, qui
pourrait ne pas plaire à tout le monde dans son propre pays.
En Europe, et particulièrement en France, on boit du petit
lait à voir comment le cinéma peut affronter les démons
de l'Histoire d'un pays. A quand un grand film français sur
l'esclavage ou sur la colonisation ?
Et puis Scorsese n'oublie pas de fabriquer un spectacle, au sens
noble du terme. Les images sont splendides, tout l'ensemble du film
est majestueux, traversé par un souffle épique, parsemé
d'idées de mise en scène géniales, comme ce
travelling arrière du sol au ciel sur cette cérémonie
indienne, magnifique et impressionnante, ou bien cet épilogue
en forme d'émission de radio filmée, ironique en diable,
ultime pied de nez à l'attendu…