Cinq personnages,
pas plus, dans un quasi huis clos. Tensions familiales, rancœurs,
non-dits, explosions de violences verbales… Tout est déjà
dans la pièce de Lagarce, et le film, très médiatisé,
aura au moins le mérite de faire découvrir à
beaucoup le dramaturge, certes un des plus joués actuellement,
mais encore méconnu du grand public. Xavier Dolan, surdoué
du cinéma (27 ans, six films déjà et quelques
chefs d'œuvre…) s'empare du texte, le modifie un peu
sans en altérer l'esprit et impose sa vision de cette famille
comme on ne voudrait pas en avoir mais qui ressemble, tout de même,
à n'importe quelle famille, la nôtre, la vôtre…
Dans sa mise en scène, pas d'afféteries, pas de ralentis,
pas de "belle image" gratuite, pas de digressions, le
récit va vite, entièrement concentré sur les
échanges entre les personnages et sur la façon dont
ces derniers encaissent ce qu'ils entendent, ce qu'ils voient, ce
qu'ils croient deviner… Pour parvenir à cet effet de
resserrement, Xavier Dolan filme les acteurs au plus près,
privilégiant le plan serré, traquant le moindre coup
d'œil, la plus petite vibration dans le visage, le rictus qui
en dit plus que la plus longue des tirades. Ce pourrait être
un film d'acteurs, une succession de performances de stars, mais
malgré leur renommée, les comédiens, admirablement
dirigés, jouent comme une troupe, ensemble. Chacun sa partition,
mais comme dans un quintet, tout ce qu'ils font individuellement
valorise l'ensemble. Il serait exagéré de dire que
chacun d'eux surprend dans sa façon de jouer, mais il est
indéniable qu'ils révèlent des aspects nouveaux
dans leur jeu, la palette des expressions s'est enrichie, ce qu'ils
font est fort, très fort. Xavier Dolan ne s'efface pas derrière
leurs interprétations, si denses soient-elles. Il choisit
son rythme, ses éclairages, fait glisser la caméra,
donne au film de la sensualité, de l'ambiguïté,
un intérêt puissant, même pour ceux qui connaissent
la pièce (j'en suis).
Il reste que malgré tout ce talent exprimé, celui
qui brille ici, c'est tout de même Lagarce et sa vision sombre
du cercle familial, lieu (oui, on peut bien parler de lieu pour
une famille…) d'enfermement, d'aliénation, où
peuvent naître et s'épanouir les pires folies.