Attention, voici un petit bijou
d’angoisse, un concentré inventif de psychose familiale.
C’est un premier long métrage qui révèle
une grande rigueur et une inventivité constante dans la mise
en scène, reprenant quelques clichés du cinéma
d’épouvante, pour mieux les bouleverser, pour les tordre
et nous les faire voir avec un regard légèrement décalé
: d’où un malaise délectable. Malaise parce que
le sujet touche au plus profond, la relation parents enfant est au
cœur du dérèglement montré, sans manichéisme,
avec un père et une mère comme on en voit partout, assurant
avec ferveur l’éducation de leur fils, aimant, s’interrogeant,
s’angoissant, puis démunis, défaits par quelques
mots, un regard, un sentiment refoulé qui éclate. Quel
parent n’a pas un jour été complètement
déstabilisé par une parole de leur enfant ? Ici, ce
"tu n’es pas obligé de m’aimer" d’un
fils à son père sonne comme une attaque frontale d’un
tabou familial immuable : il est évident qu’un père
ne peut qu’aimer son fils, il le doit, c’est ainsi et
ça ne peut être autrement. Sauf que dans la réalité,
ce sont juste des êtres humains, qui s’aiment, s’ignorent
ou se détestent.
La qualité du récit (et de l’angoisse sous-jacente)
vient d’une multitude d’éléments, mais ce
qui frappe, c’est que le déséquilibre grandissant
provient des paroles et des gestes de tous les personnages, pas seulement
ceux de l’enfant : ce dernier est celui par qui les choses arrivent,
mais les autres ont aussi leurs maladresses, leurs peurs, leurs errements,
leur comportement destructeur. La sérénité de
cette famille (de toutes les familles ?) est incroyablement fragile,
ce ne sont que des micro-événements qui la mettent en
péril.
Mais, paradoxalement, ce malaise profond est aussi source de plaisir
: la photo jouant sur les ambiances chaudes et froides, le cadrage
créant une impression d’étrangeté là
où tout n’est que normalité, la bande son formidablement
travaillée, le montage syncopé, les transitions particulièrement
soignées, tout est propice aux frémissements. L’humour
n’est jamais très loin de la terreur, comme dans cette
scène à la fois convenue et hallucinante de l’audition
dans l’école de musique : Joshua, en dynamitant son morceau
tout en lui donnant une âme (sombre), tétanise tous les
parents spectateurs qui ont écouté auparavant avec ravissement
leurs chérubins massacrant en toute innocence leurs airs consciencieusement
répétés : c’est drôle et mordant,
puis le rire se fige, les sentiments et les émotions se brisent,
c’est un kaléidoscope d’impressions.
George Ratliff, très attentif à tous les aspects techniques,
n’oublie pas non plus ses acteurs : ils sont formidablement
dirigés, l’évolution des deux parents (Sam Rockwell
et Vera Farmiga) est exemplaire, l’enfant (Jacob Kogan) au visage
d’ange impassible est tout simplement parfait : froid et inquiétant
sans jamais hausser un sourcil.
La diffusion de ce film (11 écrans en France !) est ridicule
au regard de sa qualité. Si vous avez l’occasion, ne
le ratez pas, mais vous êtes prévenus : votre regard
sur la famille (votre propre foyer ?) peut en être bouleversé…