Oh, quelle claque ! Quel incroyable
condensé de cinéma ! Tout est énorme, inouï,
spectaculaire... C'est la genèse d'un monstre qui nous est
montrée, et même s'il est imaginaire et sort droit
d'un comics purement américain, ce monstre est d'une grande
complexité, certainement plus intéressant que le super-héros
qui le combattra, plus tard, mais qui ici, ouf, ne fait qu'une brève
apparition et n'est pas encore Batman…
Le réalisateur, auteur des comédies répétitives
et sans beaucoup d'intérêt Very Bad Trip 1, 2 et 3,
semble être passé dans une autre dimension, par miracle
? Il est fort probable que Joaquin Phoenix y soit pour beaucoup
dans cette réussite totale. L'acteur s'est investi physiquement,
mais pas seulement : il y a quelque chose d'absolument fascinant
dans son jeu : il incarne avec un naturel confondant un handicapé
mental qui devient fou, pris dans un enchainement de violence que
le film parvient à rendre en même temps détestable
et inéluctable, voire explicable. C'est sombre, terriblement
sombre en ce qui concerne l'Humanité, et brillant sur tous
les plans, autant formels que dans sa démonstration. Il n'y
a rien de surnaturel dans l'histoire et pourtant la caméra
donne au Joker des allures d'ange, ou de démon. La musique
accompagne la démesure, grave et lente, à la limite
de la distorsion. La ville est montrée comme une cité
contemporaine très américaine (très New-yorkaise)
mais avec des allures de bas-fonds futuristes, inquiétante,
foisonnante, une mégapole où la promiscuité
crée des tensions mortelles. Le message est terrible et n'est
pas affadi par un happy-end : le monde tel qu'il est, individualiste,
capitaliste et clivant, crée les propres moyens de sa perte,
il engendre à sa périphérie des gangrènes
effroyables.
Tout cela est montré sans aucune concession à une
quelconque bienveillance, avec une rigueur impeccable et implacable
du récit. C'est parfait, et ça fait froid dans le
dos, plus encore que toutes les théories de l'effondrement.
Ce Joker est finalement un grand film politique… C'est évidemment
parfois très violent mais jamais de façon gratuite,
c'est surtout du cinéma total, qui vous en met plein la vue
et les oreilles, qui fait réfléchir, s'indigner, s'extasier.
Terrible et parfait.