Dès les premières
secondes, les images et les sons imposent une ambiance oppressive,
à la musique saccadée succède le bruit des
marteaux piqueurs, les plans rapprochés qui emprisonnent
les personnages sont montés de façon extrêmement
serrée. Le ton est donné, ce n'est pas un film tendre,
il n'y aura pas de douceur, à l'image du personnage principal
au prénom américain, Eddie, belle gueule (Nicolas
Duvauchelle), tendu, nerveux, sur le qui-vive, la colère
à fleur de peau, toujours prêt à dégainer,
à défaut de flingue, une répartie pas forcément
cinglante mais certainement injurieuse, un regard où la haine
n'est jamais bien loin. Il est incroyable, Duvauchelle. Il parvient
à maintenir ce personnage tout au long du film, à
le faire vivre malgré ses plaies (au propre comme au figuré),
à lui donner même une possibilité d'empathie,
à ne pas le faire passer pour un abruti. Il y a des nuances
dans son jeu tout en tension, on y voit une part d'incompréhensible
dans ses faits et gestes qui le fait échapper au cliché,
qui le rend humain malgré tout.
Les personnages qui l'entourent et qui lui apportent de la lumière
ont tous aussi leur part de sombre, parfois invisible mais bien
présente. Le fils n'a rien de l'enfant chéri, il est
formidablement vivant et pourtant s'est insérée en
lui une partie de la colère de son père. Le patron,
jeune, beau, chaleureux, bienveillant, n'est jamais tout à
fait sympathique malgré toutes ses qualités, on sent
en lui quelque chose de trouble, que le film a l'intelligence de
ne jamais montrer. Et puis il y a la femme (Mélanie Thierry),
rayonnante, lumineuse, compréhensive mais dotée d'un
instinct de vie qui lui permet de se sauver. L'amour, réel,
qu'elle ressent pour Eddie, c'est précisément sa part
de sombre. Elle est la vie, pas tout à fait légère
mais tendant vers le bonheur, et pourtant elle est inexorablement
attirée par son contraire, par l'abîme que représente
la profonde dépression de son homme.
Le film ne serait que le portrait, socialement saisissant et politiquement
pas tout à fait correct, d'un homme en rupture, basculant
sans retour possible vers une folie autodestructrice, cela n'aurait
qu'un intérêt limité. Il est semé d'ambiguïtés,
laissant suffisamment de questions sans réponses pour éveiller
la curiosité du spectateur. La fin fait brutalement glisser
le récit dans une radicalité qui n'était peut-être
pas tout à fait nécessaire. Certes, elle questionne,
encore. Mais elle fait perdre au film une part de sa subtilité,
de ses mystères…