Comment ne pas apprécier
ce film qui montre un homme de bien, un homme qui sait pardonner à
ses ennemis de toujours, un homme qui parvient à reconstruire
une nation sur les décombres de l’apartheid ?
Morgan Freeman est impressionnant dans le rôle de Mandela, dans
sa stature, sa démarche, son regard doux et ferme, ses faiblesses
aussi. Il semble crédible, autant dans les moments intimes
que dans les interventions publiques. Matt Damon, plus effacé,
est étonnant lui aussi : on arrive presque à croire
qu’il sait jouer au rugby. Il reste néanmoins à
sa place en face du grand homme : il l’admire, mais à
aucun moment on ne sent en lui une autre dimension que celle d’un
sportif touché par un discours et qui tente de faire partager
ses nouvelles convictions à ses partenaires…
Non, vraiment, il est impossible de ne pas apprécier ce film.
Sauf que… Si on veut chercher la petite (ou grosse) bête,
question rugby et à propos précisément de cette
coupe du Monde, les Springboks (l’équipe d’ Afrique
du sud) n’avaient aucun charme dans leur jeu, ils étaient
bien préparés physiquement et ont usé leurs adversaires,
sans panache, sans âme ; il semble aussi, au vu de la mémoire
de certains, que quelques matchs aient été étrangement
arbitrés, et on oublie de dire dans le film que tous les joueurs
de l’équipe des All Blacks se sont retrouvés malades
la veille de la finale contre l’Afrique du Sud… Tout cela
est passé sous silence, mais un relatif enjolivement de la
réalité peut être acceptable lorsque c’est
pour la bonne cause…
Ce qui l’est moins (acceptable), c’est la façon
dont on montre Mandela qui parvient à régler tous les
problèmes rencontrés avec à chaque fois le même
schéma : au point de départ, tout le monde est fermé,
retranché dans ses certitudes, dans l’incapacité
de changer d’idées, de comportement, et qui voilà,
Mandela, qui se met à parler en bon père de famille
(il le dit lui-même, sa famille compte 30 millions de sud-africains)
et qui, avec quelques très belles phrases, surmonte toutes
les réticences, fait se rapprocher les peuples… quel
homme ! Une fois ça passe, deux fois, on se dit que Clint Eastwood,
manque d’originalité, mais c’est finalement d’un
bout à l’autre du film que cette comédie se répète.
Prendrait-on le spectateur pour un naïf ? pour un ignorant de
l’Histoire contemporaine ? Certes, l’apartheid est aboli,
mais il demeure dans bon nombre d’esprits ainsi que dans la
réalité sociale, et la réconciliation voulue
par Mandela est bien loin d’être majoritaire dans ce pays.
Dans l’euphorie de certaines séquences, il semble qu’on
ait oublié l’essentiel, la longueur du chemin qu’il
reste à parcourir pour faire de l’Afrique du sud un pays
en paix avec lui-même.
Bien sûr, Eastwood est un conteur qui sait y faire, on peut
avoir la gorge serrée et le cœur gonflé, croire
que tout est bien qui finit bien… La victoire de la France lors
de la coupe du monde de foot en 1998, avec son équipe "black-blanc-beur",
aurait pu aussi être à l’origine d’un déluge
de bons sentiments, mais dans les deux cas, on a maintenant un peu
de recul, et on peut observer qu’avec le temps et de tels évènements,
les choses avancent (le sport, quoiqu’on en dise, fait souvent
plus pour le rapprochement des peuples que n’importe quel discours),
mais tellement lentement…