Alan Turing a beau être
un inconnu du grand public, impossible d'imaginer que celui-ci aurait
été satisfait de ce film qui lui est consacré.
Un mathématicien novateur qui n'hésite pas à
envoyer paître ses semblables, une sorte de misanthrope hautain,
un homosexuel persécuté dans une Angleterre d'après-guerre
puritaine, n'ayant absolument rien de consensuel… c'est en
tous cas ce portrait-là qui nous est donné, et ce
personnage, réel ou fantasmé, a quelque chose d'assez
réjouissant, antisocial et anticonformiste. Mais l'histoire
elle-même, la mise en scène, les différents
épisodes de la vie d'Alan Turing qui sont montrés,
tout est désespérément classique, complètement
hollywoodien, avec la musique qui va avec, les gros plans sur les
visages meurtris par la mélancolie, les poussées d'adrénaline
qui ponctuent l'histoire, et l'absence totale de suspense (la machine
des méchants allemands, Enigma, sera bien sûr décryptée).
Les différents rouages du récit sont prévisibles,
attendus, exposés avec efficacité certes, mais sans
grâce, sans surprises, sans grincements, en complète
inadéquation avec le personnage, hélas. Ça
n'est pas que l'on passe un mauvais moment, au contraire, il y a
un peu d'humour, quelques morceaux de bravoure, une interprétation
tout à fait au point (même Keira Knightley est à
peu près juste, c'est dire…), mais l'attente d'un élément
discordant est vaine, c'est une machine sans raté. Et la
façon dont a été traité Turing après
la guerre méritait sans doute un peu plus d'ambiguïté
et d'acidité que ce regard formaté sur un héros
de l'ombre.