Ursula Meier a trouvé un ton très particulier pour décrire
un univers hors normes, cela ne ressemble à rien de connu.
L’environnement a quelque chose de surréaliste, à
la limite du fantastique, admirablement mis en lumière, avec
une qualité d’image étonnante (en fait, pas si
étonnante que ça, la directrice de la photo est Agnès
Godard qui a signé, entre autres, celle, sublime, de Golden
door…). Cette précision, cette absence de grain, cela
pourrait apporter de la froideur, un détachement, et c’est
tout le contraire qui se passe. Dans cet univers légèrement
fantasmagorique, règne une grande proximité entre les
personnages, c’est une certaine idée du bonheur, des
relations complexes, riches, beaucoup de tendresse autour de cette
mère qui visiblement (Isabelle Huppert fait tout voir avec
rien, elle est immense) est là pour guérir de quelque
chose…
Jamais on ne s’éloigne de la maison, et cette volonté
donne l’impression d’une oasis d’humanité,
à la fois salutaire et oppressante : on ne sait rien du monde
extérieur et du coup on peut tout imaginer à propos
de cet isolement choisi.
Puis, lorsque le monde vient à eux, de façon brutale,
frontale et en même temps complètement déshumanisée,
impersonnelle, c’est l’absurdité qui ressort :
absurdité de leur situation, mais aussi du monde en général
: le bonheur s’émiette pour finir en cauchemar de l’enfermement
: la dernière partie, kafkaïenne, semble moins réussie,
répétitive, comme à court d’idées
de mise en scène. Mais l’ensemble reste tout de même
sur l’impression de découvrir une nouvelle cinéaste,
pleine de promesses, d’audace, d’inventivité.
La preuve en est qu’Huppert et Gourmet, deux monstres de talent,
ne font aucun numéro d’acteur particulier. Ils sont juste
là, se glissant dans l’univers d’Ursula Meier,
celui-ci étant suffisamment puissant pour fasciner, emporter
le spectateur.