C'est une œuvre singulière,
flottante, rêveuse, ancrée dans le réel pour
certains aspects, et pour d'autres, intemporelle, légèrement
fantastique, un peu mystique… Le récit n'explique pas
tout, loin de là, et c'est tant mieux, le spectateur doit
lui-même combler les trous, ou pas : l'absence de rationalité
n'est pas gênant, mais celui qui voudrait tout comprendre
peut puiser dans les indices, bibliques et autres, pour se construire
une histoire parfaitement structurée. Lazzaro, c'est Lazare
le ressuscité mais ce serait très réducteur
de s'en tenir à cela. C'est aussi un personnage incapable
de la moindre action mesquine, intéressée. Certains
diraient "un simple d'esprit". Il ne juge personne, il
a le cœur tellement large qu'il accepte pour frère n'importe
qui. Un ange humain sur qui le temps n'a pas d'emprise ? Un tel
personnage n'existe pas dans la vie réelle, qu'importe, puisque
ceux qui l'entourent sont crédibles, eux, quoique très
hors normes… Alice Rohrwacher puise son inspiration dans un
cinéma italien d'un autre âge (Taviani, Rosi, Olmi,…)
en s'intéressant aux exclus, aux délaissés,
aux infortunés, et traverse le temps fort élégamment
pour poser le pied et sa caméra dans ce qui ressemble à
une misère bohème. Le film est en accord avec son
sujet, fragile, attachant et généreux, sans effets,
émouvant, ne se prenant pas vraiment au sérieux, mais
ne manquant pas de rigueur narrative.