Le principal
mérite du film, c'est qu'en sortant de la salle, on est fortement
tenté d'en savoir plus, ou au moins d'avoir une autre vision
de la philosophe Hanna Arendt, un autre point de vue que celui de
la réalisatrice…
Cinématographiquement, c'est lourd et appuyé, avec des
effets de caméra inutiles et bien trop voyants, monté
bien platement avec des flash-back terriblement téléphonés…
sur une musique mélancolique, les yeux dans le vague, l'esprit
d'Hannah S'échappe, il n'est plus là, et bing, c'est
gagné, on a le droit à un retour en arrière sur
sa jeunesse, du temps où elle était éprise d'Heidegger…
Le récit s'appuie largement sur le procès d'Eichmann
et des écrits qu'elle produit ensuite, créant une énorme
polémique, à propos de la "banalité du mal"
et surtout de la participation de juifs dans le processus d'extermination.
Cela pourrait suffire mais il est aussi beaucoup question de ses amours,
avec Heidegger (et donc flash-back…) et avec son mari, volage
semble-t-il. La façon dont cela est montré est très
répétitive et vite lassante. Le jeu de Barbara Sukowa
est sans doute assez crédible (il faudrait demander aux contemporains
d'Hanna Arendt), avec une jolie manière de tenir sa cigarette,
mais il manque tout de même un peu d'imagination. Pour montrer
le doute et la perplexité, elle enlève ses lunettes.
Pour indiquer qu'elle reprend sa réflexion, elle remet ses
lunettes. Pour la compassion…ah ça non, pas besoin, Hannah
Arendt ne compatit pas.
Mise à part la médiocrité factuelle de l'œuvre,
il reste donc toutes les questions que l'on peut se poser pendant
et à la suite de la projection. Questions liées au propos
du film et aussi à ce qu'il évite, le tout reposant
essentiellement sur le procès Eichmann. Il semble que ce qui
a mis le feu aux poudres et déclenché les foudres des
critiques des contemporains de la philosophe, c'est l'affirmation
selon laquelle des responsables juifs ont largement collaboré
avec les nazis pour organiser la déportation. Beaucoup de lecteurs
de ces allégations l'attaquent en lui reprochant qu'elle ne
peut pas dire que le peuple juif a lui-même organisé
la Shoah, ce qui ne semble pas être le propos d'Hanna Arendt,
puisqu'elle met en cause certaines personnes seulement, et non pas
l'ensemble du peuple juif, cette notion de peuple étant d'ailleurs
rejetée par la philosophe.
Du coup, sa théorie sur la "banalité du mal"
semble parfois passer au second plan, alors que c'est bien cela qui
est au centre de sa réflexion. Elle observe qu'Eichmann se
défend en affirmant qu'il n'a fait qu'obéir aux ordres,
qu'il n'a assassiné personne. Elle avance alors que cet homme
a perdu sa capacité de penser et donc de s'opposer ou de décider,
qu'il n'est pas un monstre, mais que son manque d'autonomie intellectuelle
lui ôte une partie de son humanité. Le mal vient donc
aussi de la propension de l'Homme à agir sans volonté
propre…
Elle présente aussi l'extermination des juifs comme un crime
contre l'Humanité dans son ensemble, et non pas contre le peuple
juif, ce qui pour nombre d'entre eux, est impossible à entendre.
Elle refuse de prendre en compte la douleur collective, sa pensée
est formidablement moderne et bouscule les consciences lorsqu'elle
publie ses écrits à la suite du procès, mais
cela intervient sans doute encore trop tôt pour beaucoup de
ses amis et des juifs en général, qui vivent dans un
traumatisme de masse. Tout cela est abordé par le film, qui
se révèle donc fort intéressant dans le fond,
mais plutôt médiocre dans sa forme.