Le cinéma de Bruno Dumont
n’est pas confortable. Il perturbe, provoque, engendre des réactions
radicales. On peut toujours se demander à quel public s’adresse-t-il,
et la réponse à cette question est tellement fermée
qu’il vaut mieux, finalement, l’éviter : oui, c’est
du cinéma élitiste, où la réflexion du
spectateur est obligatoire, ce n’est absolument pas divertissant
et de ce fait ses films ne sont pas destinés à toutes
sortes de public. Il est probable que lors de leur réalisation,
Dumont ne se pose pas ce type d’interrogation, mais en tant
que spectateur (perturbé), on peut se permettre d’avoir
des doutes…
(voir à ce propos la critique de Flandres,
datant de 2006)
Hadewijch est dans la lignée de ses précédents
films, bien qu’il y ait quelques évolutions : musique
présente à certains moments forts, quelques travellings
absolument pas gratuits, recherche d’émotions frisant
avec un certain romantisme… Bien sûr, ces aspects traditionnellement
cinématographiques ne sont pas des concessions du réalisateur
pour plaire au spectateur, ce sont des outils, une ouverture bienvenue
vers d’autres moyens d’expression que les plans fixes
et lents à la limite de l’hypnose et de l’ennui,
un choix d’acteurs non professionnels plus concepts que véritables
personnages de cinéma.
Hadewijch, comme tous les films de Dumont, pose des questions sans
donner de réponses. Chacun repartira à l’issue
de la projection avec son lot de doutes et de sources de réflexions,
évoluant avec le temps : les images, les quelques phrases prononcées
prennent une autre forme le lendemain. L’amour est au centre
du film, à première vue l’amour de Dieu, mais
comme ce sentiment éprouvé par l’héroïne
ne s’accompagne pas de préceptes moraux ou de jugements
de valeur sur la vie des gens, cet amour s’apparente finalement
à un sentiment non pas charnel (quoique, au vu de l’état
dans lequel elle se retrouve parfois, on peut se demander…),
mais humain, terriblement humain lorsqu’elle parle du manque,
de la réciprocité qu’elle ne parvient pas à
sentir. Parler est un bien grand mot, ce sont juste quelques bribes
de phrases, et des regards… Julie Sokolowski n’est pas
une comédienne mais elle fait passer quelque chose que peu
d’actrices parviennent à faire sentir. Sa très
étrange beauté, sa sensibilité extrême
alors qu’elle ne semble rien montrer, son effarante innocence…
sont autant d’atouts pour rentrer dans ce film, peut-être
plus abordable que les précédents de Dumont, mais qui
reste tout de même d’une radicalité parfois repoussante,
parfois sublime.