Un autre cinéaste que Nanni
Moretti aurait-il pu avoir l'idée d'un sujet pareil ? Un pape
nouvellement élu à la surprise générale
(dont la sienne) fait une véritable crise d'angoisse face à
tout ce qui l'attend, refuse de se montrer à la foule, et s'enfonce
dans la dépression…
Cela n'aurait pu être qu'une farce, une occasion de brocarder
l'Eglise, une blague anticléricale, plus ou moins acide. De
l'humour, il y en a, et pas qu'un peu, mais pas exactement là
où on l'attend. L'assemblée des cardinaux est moins
décrite sous l'angle religieux qu'en tant que communauté
fermée dont tous les membres ont les mêmes convictions,
les mêmes références (ou presque), vivant dans
un isolement culturel et sentimental. Par petites piques plus attendries
que réellement acerbes, Moretti développe une sorte
de tendresse dans la façon de montrer ces personnages d'hommes,
âgés pour la plupart d'entre eux, avec leurs petits travers,
leurs doutes, leur incompréhension face à l'impensable.
On est loin de l'idée qu'on peut se faire de prélats
compassés, ils sont bien hors du Monde, mais ils sont aussi
très humains.
Sur cette base qui ne serait qu'anecdotique si le réalisateur
s'en contentait, viennent s'installer des interrogations sur les choix
de vie, le destin des hommes, l'amour et la mort, tout ce qui fait
le sel (et le poivre) de l'existence. Le personnage du pape malgré
lui (joué par un Piccoli formidable, engoncé dans ses
habits de cérémonie puis comme libéré,
tout en nuances) est beaucoup plus universel qu'on pourrait croire.
Ses hésitations, ses enthousiasmes et ses peurs ont quelque
chose qui parle à chacun de nous, ce pape qui n'a pas choisi
de l'être et ne se sent pas à la hauteur, c'est aussi
soi-même, face aux obligations professionnelles, familiales,
intimes…
Formidablement riche en évènements, en personnages,
en scènes drôles, surprenantes, le film n'oublie pas
d'être beau, étonnamment beau. Les décors fastueux,
le cérémoniel, les défilés de robes ont
une magnificence illuminée par une musique profonde, utilisée
avec parcimonie, mais qui semble élever les images, leur ôte
le côté parfois ridicule de ces hommes en tissus chatoyants…
Le Pape, un homme comme les autres ? C'est l'une des conclusions du
film, qui a le mérite de rester ouvert jusqu'à la fin,
suspendue, éclairée d'espoir pour les uns, désespérée
de la perte des illusions pour les autres.