Eléonore Faucher avait fait
preuve de beaucoup de finesse dans son premier film, "Brodeuses".
Doux, pudique, fort, plastiquement superbe, racontant une amitié
entre une jeune fille et sa patronne, qui pourrait être sa mère…
C’est donc avec un gros a priori positif qu’on pouvait
découvrir ses "gamines" et en même temps, il
y avait la crainte de la déception possible, tant l’entreprise
avait quelque chose de risqué : le film est l’adaptation
d’un roman autobiographique, et le personnage principal est
joué par celle qui l’a écrit, Sylvie Testud en
personne… Comment passer de l’état d’écrivain
se racontant elle-même, à celui d’actrice jouant
son propre rôle, ou presque ? Comment interpréter des
scènes que l’on a vécues dans le monde réel
ou fantasmées jusqu’à les croire vraies ? Comment
la réalisatrice allait-elle pouvoir imprimer sa propre imagination,
faire œuvre de création face à celle qui sait,
puisque le personnage, c’est elle…
Le résultat est hybride, pas très équilibré
entre les deux périodes, celui de l’enfance et celui
de l’âge adulte. Lorsque Sylvie Testud joue son propre
personnage, adulte, on sent qu’elle force son naturel, elle
est elle-même, sans l’être vraiment. Comme si elle
avait voulu créer une autre Syvie Testud (Sybille dans le film),
en étant tout de même proche de l’original. La
réalisatrice tourne autour, sans jamais véritablement
l’apprivoiser. C’est assez maladroit, un peu déstabilisant
sans parvenir à l’émotion qui aurait pu se justifier
au vu des échanges entre les personnages.
L’enfance, qui occupe tout de même la grande majorité
du film, n’a absolument pas les mêmes couleurs, le même
éclairage, la même façon de raconter les faits…
D’ailleurs, ce ne sont pas des faits, ce sont des souvenirs,
et par là même recomposés, idéalisés
ou noircis. Eléonore Faucher, dans toute cette partie, semble
beaucoup plus à l’aise, créant sans doute avec
ses propres souvenirs, des années 70-80 ressemblant aux années
50-60, finalement hors du temps. Les trois sœurs ont beaucoup
de complicité, la plupart des scènes sonnent juste,
on sent la volonté de donner des pistes au spectateur quant
au mystère du père ayant abandonné sa famille…
Mais le trait est un peu forcé, la couleur criarde, les effets
de sens trop appuyés, il manque ce qu’il y avait dans
"Brodeuses", la finesse, l’équilibre entre
un recul pudique et une approche profonde des personnages. On reste
malheureusement dans une sorte de caricature, d’histoire racontée
aux enfants, sans ambiguïté, sans zones d’ombre…
Le film se voit sans déplaisir, mais au bout du compte, il
ne reste pas grand-chose d’autre qu’une succession d’images
d’un autre temps.