J’ai longtemps confondu le
chanteur avec Gainsborough, le peintre anglais. Puis lorsqu’il
est devenu célèbre grâce à ses frasques,
je l’ai trouvé moins drôle que Coluche et je ne
comprenais pas ce qu’il chantait. Je le trouvais assez pitoyable,
un petit malade qui voulait faire croire qu’il était
plus malheureux que l’Humanité entière
C’est dire si le personnage ne m’est pas très sympathique,
il faut avouer que je ne suis pas spécialement branché
anar de droite, je serais plus conservateur de gauche…
Mais je n’allais pas voir le film à reculons, parce que
c’était Johann Sfar, un auteur de BD plutôt novateur…
C’est effectivement très créatif, étonnamment
frais, mais c’est souvent le cas lorsqu’un transfuge d’un
autre moyen d’expression se met à faire du cinéma,
on a l’impression qu’il découvre le plaisir de
filmer, et le spectateur est facilement embarqué dans cette
cascade d’idées, de couleurs, d’audaces…
La marionnette qui accompagne le personnage principal pendant presque
tout le film aurait pu être la fausse bonne inspiration, totalement
casse-gueule, il n’en est rien, elle est parfaitement dans le
ton général, bien plus poétique qu’historique,
jouant sur les impressions, les fantasmes, les rêves, les clichés
(pour mieux leur tordre le cou).
Eric Elmosnino est hallucinant, jusque dans la danse de ses mains,
il ne singe pas Gainsbourg, il est Gainsbourg, ou au moins
l’un de ses possibles. Frêle et peu assuré à
ses débuts, passant d’une femme à l’autre
en dandy détaché, finissant épave lamentable,
l’acteur parvient à faire ressentir tous ces états,
il est l’âme de ces images. Les femmes qui l’entourent
sont assez étonnantes, Casta en tête, composant une Bardot
qui n’existe pas tout à fait, une sorte de rêve
éveillé, occupant un volume impressionnant…
La vie du poète-chanteur-compositeur est montrée comme
une succession de rencontres, et le contraste entre les premières
(le modèle, ou Elisabeth sa première femme), enjouées,
enlevées, bouffées de plaisir, et la dernière
(Bambou), toute en agressivité, est absolument saisissant…
Même si la fin traîne un peu en longueur, l’inventivité
s’essoufflant, à moins que ce ne soit simplement voulu,
les dernières années étant beaucoup plus sombres
et moins propices aux petits bonheurs visuels, l’ensemble est
très loin d’un biopic traditionnel ; ici les affiches
aux murs s’animent, les cauchemars et les rêves sont mêlés
à la réalité, l’imagination est véritablement
au pouvoir, ne s’embarrassant pas de coller à la vérité,
les mensonges de Gainsbourg-Gainsbarre sont bien plus intéressants
et cinématographiques qu’une apparente exactitude.
Au final, le personnage ne m’est pas beaucoup moins antipathique,
mais le film qu’en a fait Joahnn Sfar est une belle œuvre…