Probablement, pour apprécier
le film à sa juste valeur, est-il nécessaire de voir
l’original, dont celui-ci n’est qu’un remake, réalisé
par le même metteur en scène, à une époque
différente, dans un pays différent, avec des acteurs
différents, et destiné à un public plus large
(essentiellement les Américains).
L’œuvre double de Haneke est le sujet d’infinies
discussions et analyses, autour de la violence au cinéma, de
la banalisation de cette violence, du statut de voyeur pour qui se
trouve devant elle (est-ce un objet de spectacle ?). Mais le film
pose aussi le problème de la relativité du récit.
Le malaise vient autant de l’atmosphère angoissante que
des quelques apartés d’un personnage s’adressant
directement au spectateur et lui parlant de l’avancée
de l’histoire, ou le questionnant sur ce qui va se passer. On
se trouve alors comme pris au piège : cette nuit de torture,
morale et physique, est (aussi) un spectacle, on y assiste, et voir
et entendre l’un des tortionnaires apostropher le spectateur
fait de ce dernier un complice de ce qui se passe à l’écran.
Cette proximité est aussi insupportable que ce qui arrive à
cette famille, dont pas un membre ne s’adresse à la caméra,
bien sûr.
Plus encore, l’incroyable et très surprenante scène
de rewind détruit, lorsqu’elle survient, ce qui pouvait
rester de nos repères sur ce que l’on croit savoir des
histoires, et du même coup, relativise tout ce qui vient d’être
montré. Coup de maître mais aussi peut-être une
façon de justifier le titre et la forme du film : c’est
un jeu, une entourloupe. L’image finale, qui peut se traduire
en "voulez-vous continuer ?" est symptomatique de ce côté
ludique de la part du réalisateur. Et si l’on cherche
encore des raisons de douter du talent d’Haneke, il faut se
rendre à l’évidence : il parvient à nous
mettre terriblement mal à l’aise en nous faisant presque
acteur de la terreur, tout en restant lui-même ironique, détaché,
à distance.
L’effet voulu (?) est donc réussi. Chapeau l’artiste
!
Cependant, cette virtuosité de la mise en scène et du
dispositif s’accompagne de beaucoup d’interviews du metteur
en scène expliquant son travail, ses intentions, sa pensée.
Cela ressemble un peu trop à ce qui se passe lorsqu’une
œuvre d’art, contemporaine la plupart du temps, a besoin
d’un discours de l’artiste ou de critiques d’art
pour être comprise, admise, lisible. Les véritables chefs
d’œuvre nécessitent-ils autant de messages extérieurs
?
D’autre part, une partie du public de ce film vient pour se
payer une bonne tranche de rigolade, avide de scènes violentes.
Cette partie-là repart d’ailleurs un peu déçue,
les images n’ont rien de sanguinolent, le malaise vient beaucoup
plus des dialogues, des regards, de l’ambiance, que des coups
ou des plaies. Il n’empêche que malgré cette déception,
il semble que le message et les intentions d’Haneke peuvent
avoir sur ces spectateurs-là exactement l’effet inverse
à celui voulu.