Le scénario aurait pu
plaire à Chabrol, ou à Hitchcock, qui en auraient
fait chacun à leur sauce, un vrai thriller, avec la recherche
d'un assassin, une belle occasion de remuer dans la mélasse
d'une société d'une petite ville, où tout le
monde se connaît plus ou moins, où chacun reste à
sa place, et lorsque que l'un de ses membres tente de comprendre
ce qui devrait mieux rester caché, il s'expose à quelques
dangers, quelques regards malveillants… Les frères
Dardenne ne sont pas auteurs de polars et même s'il y a un
certain suspense dans cette histoire, ils s'intéressent comme
à leur habitude, bien plus qu'au fonctionnement d'une enquête
policière, à un personnage qui cherche la lumière,
la paix, la justice, tout cela dans un contexte social fort. Les
personnages sont déterminés par le métier qu'ils
font, ou par le milieu d'où ils viennent. Le récit
de "la fille inconnue" a quelque chose à voir avec
Bresson, le personnage principal (Adèle Haenel en jeune médecin,
qui l'eut cru, et pourtant ça fonctionne, cette actrice a
décidément beaucoup de talent) est aux prises avec
sa conscience et sa culpabilité, ses actions sont le reflet
de sa réflexion. C'est un cinéma qui n'a rien de spectaculaire,
de l'anti-divertissement assuré. Mais c'est un cinéma
intègre, digne, aride parfois, qui, sans être inconfortable,
amène à beaucoup de questionnements, fait naître
des émotions sans aucun effet, donne à voir l'Humanité
qu'il peut y avoir en chacun de nous. Les frères Dardenne,
film après film, construisent une œuvre formidable,
une sorte de comédie humaine contemporaine, qui refuse les
clichés et parvient à se situer en dehors d'un clivage
pessimisme/optimisme.