Ce que montre Serebrennikov de
la passion amoureuse d'Antonina pour Tchaïkovski, sans espoir,
effarante, irrationnelle, pourrait être une allégorie
de l'aveuglement du peuple russe face à tous les tyrans qui
le gouvernent depuis des années. C'est possible, mais ce
serait réduire le film à ce qu'il n'est pas : un biopic
centré sur un personnage secondaire dans le récit
de la vie de l'illustre compositeur. L'histoire qui nous est présentée
est celle d'une névrose destructrice poussée à
son maximum, une folie vécue de l'intérieur, dans
une atmosphère mystérieuse, brumeuse, sombre, cauchemardesque
par instants. Et Serebrennikov use de son talent inouï pour
plonger le spectateur dans un tourbillon inquiétant et sublime,
en multipliant les plans séquences virtuoses, sans aucune
gratuité : la photo est incroyable, la fluidité parfaite,
les éclairages donnent une impression d'irréalité,
une sorte d'étrange luminosité blafarde, c'est un
rêve inquiétant, à la douceur déstabilisante.
C'est incontestablement du cinéma, qui peut ne pas plaire
à tout le monde, mais tellement personnel, tellement créatif,
tellement singulier… Certes, tout cela est assez froid, le
jeu d'Alyona Mikhailova, complètement habitée par
le personnage, n'appelle pas l'empathie, et les émotions
sont surtout artistiques, générées par les
images et les sons, mais on tient là le premier vrai choc
cinématographique de l'année.