Ça pourrait devenir une
scène culte. Catherine Deneuve… Bettie, dans le film,
mais là c'est plus Catherine Deneuve que Bettie, enfin on
l'imagine comme ça, dans la vraie vie : une femme distinguée,
encore belle, mais au naturel, très abordable avec tout de
même un minimum de distance avant de connaître les gens,
comme tout le monde ou presque, en somme. Bref, cette femme-là
n'en peut plus de ne pas trouver une clope, juste une à griller,
pour se faire du bien… Elle en demande une à un vieil
homme qui prend le frais sur le pas de sa porte, comme on prend
le frais quand on habite un village où pas grand monde ne
passe. Le vieil homme est en train d'en finir une, et c'est sa dernière,
lui dit-il. Elle est prête à repartir, mais lui la
rappelle et la voilà, la scène : on les voit tous
les deux dans la maison du vieux, assis de chaque côté
de la table. Ce n'est pas un décor de cinéma, c'est
une vraie table, de vraies chaises, et lui est en train de rouler
une clope pour elle, avec ses mains qui ont perdu leur habilité,
des grosses mains d'agriculteur. Elle, elle le regarde, mi fascinée
parce qu'elle n'a jamais réussi à faire ça,
s'en rouler une, mi impatiente parce que ça dure de longues
minutes… La suite, les mots échangés, la confidence
du vieux, son silence à elle, il faut le découvrir,
laisser l'émotion vous prendre dans ses bras. Ce qui se passe
là n'était peut-être pas exactement prévu
comme cela par la réalisatrice, ni l'actrice (le vieux n'est
pas un comédien professionnel, il est totalement brut de
pomme, moi je lui donne le césar du meilleur second rôle
tout de suite, même si ça ne dure que trois, quatre
minutes), c'est peut-être une première prise, les silences
durent et ont une intensité incroyable, c'est d'un calme
absolu et ça tranche avec tout ce qui vient de se passer
avant, la fuite, la voiture, le ras-le-bol de tout…
Catherine Deneuve en fait d'autres, des rencontres, tout le long
de son périple, de son chemin vers elle ne sait quoi, peut-être
une parcelle de liberté, peut-être un nouveau rocher
pour s'y accrocher, comme une poule (pardon, comme une moule…;-))
Ah bien sûr, elle n'est pas bouleversante, elle n'est pas
malade, elle ne s'écroule pas terrassée par le chagrin,
elle ne fait juste que pleurer, parfois, doucement et nerveusement
en même temps, elle regarde et elle écoute les autres,
même si elle sait que ces autres-là ne font que passer
dans sa vie, elle est terriblement touchante. Est-ce Bettie, son
personnage, est-ce Catherine Deneuve ? Un peu des deux, sans doute.
Pour que le film ne s'enlise pas, pour que le voyage prenne un sens,
on lui colle son petit fils dans les pattes, qu'elle connaît
à peine. Le duo fait merveille, chacun dynamise l'autre et
ce qui se passe entre les deux est suffisamment surprenant pour
tenir en haleine.
Le film dans son ensemble serait magnifique s'il n'y avait cette
dernière partie, un peu convenue, un peu facile, avec le
vieux beau qu'on voit arriver énorme comme sa maison, avec
ses très gros sabots de veuf grognon et fatigué mais
prêt à redécoller… Dès lors, le
naturel formidablement crédible de tout ce qui se passe avant
en prend un coup. Tant pis, on fera comme si on avait oublié
cette fin, pour ne retenir que le voyage de Bettie, qui vous réconcilie
avec la vie, les désirs et ses imprévus. La belle
échappée...