Ce qui frappe
et impressionne tout au long du film, c'est une élégance
à la fois glacée et sensuelle, même lorsque la
caméra s'affole, lorsque le cadre bouge et suit au plus près
un visage ou un mouvement…l'image reste lumineuse, les transitions
donnent une impression de fluidité, on se laisse happer par
la mise en scène qui parvient à être descriptive
et contemplative en même temps.
Et pourtant, cette élégance est terriblement troublante,
parce qu'elle se met au service d'une histoire, ou plutôt de
trois histoires qui n'ont rien d'élégant dans la brutalité
qu'elles suggèrent. Les deux étudiantes qui se prostituent,
avec deux parcours bien différents, ont, pour expliquer ce
qu'elles vivent et ce pourquoi elles en sont arrivées là,
des discours qui laissent une impression profonde de malaise : la
fraîcheur (on peut même dire pour l'un des deux, l'innocence)
de leur personnalité contraste avec le récit des "rencontres",
même si celles-ci, à une exception près, ne les
met pas dans des situations violentes, où elles pourraient
se retrouver en danger. Cette relative bienveillance des hommes (les
clients) à leur égard paraît parfois irréelle,
et fait finalement partie du malaise général : la réalistarice
dénonce-t-elle ces situations, ou bien y a-t-il une complaisance
pour cette prostitution qui ne dit pas son nom ? Le personnage de
la journaliste tente de rester objectif, autant vis-à-vis d'"elles"
que des hommes qui les fréquentent. Mais quelque chose en elle
se brise, met à mal son équilibre. L'ambiguité
nait de ses fantasmes et du regard des hommes. Elle se retrouve dans
une sorte d'incompréhension, non seulement de ce que vivent
et ressentent les deux étudiantes, mais aussi de ce qu'elle-même
éprouve lorsqu'elle entend les récits et pose des images
–au sens de l'image imaginée- sur les mots des deux jeunes
femmes.
Finalement, le film ne semble pas exactement crédible sur ce
qu'il se passe (non pas que cette prostitution n'existe pas, mais
pour ce qui concerne la relative douceur des rapports), mais il explore
avec brio ce qui est de l'ordre de l'imaginaire, du non-dit, de l'illusion…
A ce propos, l'utilisation de la septième de Beethoven est
caractéristique d'un bonheur illusoire, comme une profonde
détresse sous des abords d'une douce sérénité.
Les trois actrices sont fabuleuses, Juliette Binoche en particulier…