Comment adapter un tel roman
? Chaque lecteur se fait sans doute ses propres images à
partir du texte de Boris Vian, poétique, onirique, délirant,
chatoyant puis désespéré, d'une inventivité
stupéfiante… Que Michel Gondry, le maître des
effets spéciaux bricolés, capable de faire rêver
avec trois bouts de ficelle colorée, s'empare de ce livre
culte et tente d'en faire une œuvre personnelle, cela n'est
pas vraiment surprenant, et attise la curiosité, l'impatience,
l'espoir de voir quelque chose d'inédit.
Pour l'inventivité, on est servi : le film fourmille d'idées
visuelles et sonores, on en a plein les yeux, on peut passer une
grande partie de la projection avec le sourire aux lèvres
en s'extasiant, mi amusé, mi admiratif, devant la profusion
d'objets vivants, de technologie ahurissante, sorte d'high tech
réinventée, antiquité du futur, un univers
merveilleux, parfois inquiétant… De toute cette créativité,
l'émotion n'en sort pas vraiment gagnante : on est surpris,
mais sans battement de cœur ni de serrement de gorge. Les personnages
sont en retrait par rapport aux effets, aux décors, aux accessoires.
Si Omar Sy apporte une vraie fantaisie, ni Romain Duris ni Audrey
Tautou ne parviennent à rendre attachants leurs Colin et
Chloé. Gad Elmaleh traverse le film sans jamais vraiment
s'y installer, s'accordant mal à l'univers si particulier
du réalisateur. Pourtant, l'histoire est sur ses rails, le
récit bascule peu à peu dans le sombre et le pessimisme,
la maison lumineuse rétrécit et perd ses couleurs,
le film finit dans un noir et blanc sans retour mais l'inventivité
perdure, au service d'une mélancolie profonde, d'une atmosphère
morbide, le sourire laissant place au malaise. Gondry a-t-il donc
réussi son coup ? Il est parvenu sans se trahir à
passer de la fantaisie la plus débridée à la
tristesse la plus noire, les personnages se flétrissent,
meurent et il n'y a pas – et c'est heureux – de retour
en arrière pour montrer comment la vie était belle,
avant…
Cependant, malgré toutes ses qualités, l'enthousiasme
possible devant un tel film n'est finalement pas au rendez-vous.
La mise en images de Gondry est très personnelle, elle ne
laisse que peu de place à l'imaginaire du spectateur et si
celui-ci n'est pas exactement à l'unisson de celui du réalisateur,
on risque de rester à distance, admiratif (face au déluge
de formes et de couleurs, respect…) mais sans vibrer…