Jarmusch, c'est d'abord un style,
et puis quelques obsessions. C'est du cinéma trrrrès
construit, qu'on étudie dans les écoles de cinéma
parce que c'est très analysable. Rien n'est fait au hasard,
peut-être même pas à l'instinct. Bourré
de références, cinématographiques bien sûr
mais aussi littéraires. Passer à côté
de ces références, c'est s'ôter une partie du
plaisir. Ce n'est donc pas donné à tout le monde…
Cinéma élitiste, alors ? Oui, certainement. Mais ses
premiers films, dont ce Down by law, ont encore un peu
de fraîcheur : Benigni semble parfois improviser et peut-être
parvient-il à bousculer les plans savamment prévus
de Jarsmusch ? C'est possible, en tous cas son personnage est le
bienvenu dans le récit et transforme complètement
le dispositif installé pendant le premier quart du film avec
Tom Waits et John Lurie, loosers parfaits dans un noir et blanc
élégant, monolithiques dans leurs blues respectifs.
Benigni débarque là-dedans comme une balle rebondissante
dans une montagne de dominos. Il parle trop fort un anglais approximatif,
et c'est un régal. Il n'est pas non plus en roue libre, il
laisse la place à ses deux partenaires mais tout vient de
lui, tout bouge grâce à lui, à son personnage
comme à son jeu d'acteur. Jarmusch garde la maîtrise
du récit, bien sûr, mais sans cette bonne grosse dose
de folie, le film resterait au ras de la déprime.
Les situations ont quelque chose d'irréel, il y a du Beckett
dans ce trio, la lenteur peut être exaspérante, ou
réjouissante, et même après 34 ans (!), le film
reste très moderne dans son traitement, délicieusement
intemporel.