Django Unchained

Django, qu'il vaut mieux prononcer Jango, sans le D, muet (certains le comprendront un peu trop tard), n'est au début qu'un tout petit poucet, une pauvre diable éloigné de sa femme, enchaîné, en route vers un marché d'esclaves, mené de main de monstre par quelques affreux négriers…
Ce qui l'attend tient à la fois du conte merveilleux, avec dans le premier rôle une fée bienfaitrice sous la forme d'un chasseur de primes idéaliste (Christoph Waltz, génialissime), qui redonne au pauvre diable de la dignité et les armes (au sens propre et au sens figuré) pour la défendre, et en rôles secondaires toute une panoplie d'ogres réjouissants dont Django se fait à la fois un devoir et un plaisir d'envoyer en enfer ; mais aussi (et c'est tout de même beaucoup plus évident) du western dans son plus grand classicisme, sous l'apparence d'une formidable histoire de vengeance avec une paire de héros seuls face au monde entier ou presque ; sans oublier un aspect de farce picaresque, Django et son protecteur jouant chacun leur tour les rôles de Don Quichotte et de Sancho Panza…
Western farceur en forme de conte picaresque ou conte picaresque aux allures farceuses de western, qu'importe, tout est bon dans le Tarantino, il n'y a rien à jeter, ce bon Quentin est un maître dans l'art de raconter une histoire, comme a pu l'être il y a peu Clint Eastwood, et même si l'art et al manière sont bien différents, on sent chez l'un comme chez l'autre une jubilation certaine à annoncer le "il était une fois" (la scène d'ouverture de ce Django est formidable, un Victor Hugo jovial ne l'aurait pas renié), puis à dérouler le récit, égrainant les évènements comme des bijoux, faisant alterner l'ironie mordante, la furie des armes et des coups (la violence est ici, non pas mesurée, mais montrée avec un peu plus de discernement que d'habitude : lorsqu'elle est moralement intolérable comme dans les combats de mandingues ou lorsque des chiens déchiquètent un homme, elle est presque suggérée, ce qui surprend un peu chez Tarantino…), et la saveur des mots (en réservant la plus belle maîtrise de la langue au seul personnage non américain, le réalisateur adresse un pied de nez tout en finesse à ses compatriotes.
Il se permet aussi, parce qu'il est maintenant un maître de cinéma et qu'il peut donc tout se permettre ou presque, d'aborder la période de l'esclavage avec un regard dévastateur, cru et réaliste mais aussi radical quant aux solutions pour s'en sortir…
On pourrait encore aligner pendant longtemps toutes les qualités du film, et ce serait oublier les quelques petites réserves que l'on peut apporter : la place faite aux femmes, pas des potiches, mais presque ; DiCaprio qui n'est pas tout à fait assez méchant, manquant de perversité au contraire de Samuel L Jackson, aux expressions vraiment diaboliques…
Au final, on sort avec l'impression d'avoir passé presque trois heures dans un tambour de machine à laver rempli de boue et de sang, mais pourtant heureux d'avoir goûté au bonheur de s'être fait raconter avec tant de talent une histoire pleine de rebondissements, de bruit et de fureur, avec la dose d'ironie nécessaire pour supporter tout cela.
C'est du cinéma qui fait boum, du cinéma qui en met plein la vue et les oreilles, du cinéma qui ravit les sens, c'est… du Cinéma. Encore !