Difficile d’occulter, à
la vision de cette adaptation d’un roman du prix Nobel sud-africain
de littérature J.M. Coetzee, l’autre film récent
se passant dans le même pays, Invictus, de Clint Eastwood. Là
où ce dernier créait un bel écran de fumée
pour masquer la complexité d’une possible paix entre
les différentes communautés, Disgrace au contraire montre
combien il peut être douloureux de simplement accepter l’idée
d’une réconciliation. Du coup, le récit est parfois
pénible, n’évitant pas d’aborder des problèmes
enfouis, en réveillant d’autres, pour finalement ne pas
donner de solutions qui paraîtraient, dans un tel contexte,
simplistes ou trop consensuelles pour être plausibles.
On sort de la projection un peu choqué, plus par les questions
en suspens que par les images qui à aucun moment ne versent
dans le voyeurisme. Le viol, élément central du récit,
n’est pas montré, il n’en est que plus important
dans tout ce qui suit. Pourquoi Lucy s’obstine-t-elle à
rester dans ce pays, qu’en est-il de la responsabilité
de Petrus dans l’agression, quel est le degré de sincérité
de David lorsqu’il rend visite à la famille de l’étudiante,
toutes ces interrogations n’ont pas forcément de réponses,
elles ouvrent au contraire d’autres abîmes, plus vastes,
qui tendent à dépasser le cadre seul de l’Afrique
du Sud post- apartheid…
Ainsi, l’idée que le personnage principal se fait des
femmes en général, pourrait être observée
dans d’autres contrées, dans d’autres cultures,
avec un mépris semblable, doublé d’un sentiment
d’impunité effarant.
John Malkovich apporte au personnage toute son ambiguïté,
on peut le haïr et l’instant d’après adhérer
à son cynisme, à sa lucidité, puis à nouveau
s’interroger sur son incapacité à être un
père pour sa fille, sur cette incompréhension dramatique.
Son point de vue est celui du spectateur, les deux autres personnages,
autant Lucy sa fille que Petrus l’énigmatique voisin,
restent mystérieux dans leurs aspirations, leurs décisions.
Invictus donnait l’impression finale que tout allait bien dans
le meilleur des mondes, que le père de tout un peuple (Mandela)
avait gommé tous les problèmes simplement en s’intéressant
au rugby, ce film réalisé par un australien (il n’y
a donc pas de cinéma sud-africain ?) remet les choses à
leur place : certes la réconciliation est en marche, mais le
chemin est terriblement tortueux, et il faudra sans doute bien plus
que le temps d’une génération pour parvenir à
une quelconque sérénité.