Un conte de Noël ***

Arnaud Desplechin

L'histoire

Noël approche. Pour la première fois depuis des années, toute la famille Vuillard se réunit dans la grande maison parentale...

Avec

Catherine Deneuve, Mathieu Amalric, Anne Consigny, Jean-Paul Roussillon, Melvil Poupaud, Emmanuelle Devos, Chiara Mastroianni, Laurent Capelluto

Sorti

le 21 mai 2008

La fiche allociné

 

 

La critique d'al 1

Œuvre majeure

On imagine déjà ce qu’en diront les détracteurs : film de bobos pour les bobos, qui plaira aux critiques du Monde et de Télérama, dialogues sans queue ni tête, hystérie des situations, film d’intello formaté pour Cannes…
On peut dire tout ce qu’on veut, il est probable que l’engouement des uns et l’indifférence des autres ne puissent se rencontrer, et l’opinion que l’on en a sera obligatoirement tranchée : ce film est magnifique, d’une maîtrise incroyable, d’une ambition rare dans le cinéma français actuel.
Puissant, profond, dense, large, inventif (et le mot est faible !) ; sans cesse en rupture, en contrastes, en nuances infinies ; faits du sel de la vie, des larmes, des cris et des rires ; traitant autant de l’espoir que de la mort, des souvenirs et de l’attente, et tout cela sans jamais céder à la facilité, sans jamais avoir recours au pathos, en mettant toujours de la distance entre le spectateur et le récit.
On est tellement loin d’autres productions pouvant y ressembler de très loin, comme le plaisant "la bûche de Noël"… Il y a dans ce "conte" bon nombre de scènes attendues, tournant autour des retrouvailles forcées d’une famille déchirée par les deuils, les maladies, les rancoeurs et autres réjouissances, mais ces scènes fourmillent d’idées, elles apparaissent toutes comme neuves, dépoussiérées, inattendues, spectaculaires. Il y a une tension dramatique constante, mais aussi un humour absolument ravageur, dans les répliques bien sûr, mais aussi dans les transitions, dans le choix des musiques, dans le montage. Desplechin se révèle comme un formidable metteur en scène de comédie : on a l’impression d’être à la fois dans le registre du drame le plus noir et dans celui de la commedia dell’arte. Le rythme est parfois infernal et vous emporte, puis viennent des scènes d’une douceur feutrée trompeuse, la tension est toujours là, mais l’humour aussi, qui se répand aux instants les plus explosifs, comme dans les comédies italiennes de la grande époque, on pense alors à Dino Risi, à Ettore Scola.. On peut évoquer aussi Pialat et son introspection des rapports humains, "Short cuts" de Robert Altman pour la complexité des sentiments ou "Festen" de Thomas Vinterberg pour la déstructuration familiale.
Outre la mise en scène, le choix du sujet est une source inépuisable de richesses scénaristiques : la greffe qui est au centre du récit, où il est question de sang donné, d’incompatibilité et de son contraire, amène les personnages à se poser des questions vitales, au sens le plus fort. C’est une admirable façon de reléguer au second plan et même plus loin encore, la fête traditionnelle : rien ne sera anodin dans ces embrassades, ces indifférences même pas polies, ces affrontements de regards ou de mots…
L’interprétation est comme habitée : ce ne sont pas de simples acteurs réunis pour les besoins d’un film, c’est une véritable troupe, comme au théâtre, qui nous donne à voir une création collective, avec une formidable osmose des jeux de chacun, dont pas un n’est en deçà des autres.
L’ensemble rappelle d’une part que le cinéma français est capable de produire des chefs d’œuvre, et d’autre part qu’ils deviennent de plus en plus rares, brillant alors dans un océan de médiocrité.

 

 

 

Vos commentaires

Un préalable sur les préjugés évoqués dans son introduction par Al1 : qualifier un film d’intello ou dire qu’il plaira aux bobos (concept vide par excellence) sont des procédés habituels pour disqualifier toute recherche esthétique digne de ce nom. N’oublions pas que le cinéma n’est pas qu’une industrie mais aussi un art et que la valeur d’un film ne se mesure pas uniquement au nombre de ses entrées. De plus, rédiger simplement une critique, même modeste comme celle-ci, relève de l’activité intellectuelle (choisir ses mots, les mettre en forme, etc.)… donc ne tombons pas dans l’anti-intellectualisme. Il prospère suffisamment en France aujourd’hui.
Revenons donc au film qui me semble excellent dans la tradition des grands films français. Desplechin réalise là sa plus belle oeuvre même si « Rois et Reines » était déjà très réussi. Une chose m’a frappé en sortant de la salle : le brio de la construction du film. Il dure 2 h 30 et nous plonge d’emblée dans l’univers de la famille Vuillard et des relations compliquées entre ses membres. Ces 2 h 30 qui condensent quelques jours autour de Noël à Roubaix passent très vite en raison du jeu des acteurs qui sont tous très bons et dont les personnages dévoilent progressivement leurs blessures intimes. Celles-ci reviennent à la surface à l’occasion de la réunion de la famille et du problème de la greffe qui agit comme un révélateur des failles et des liens de chacun.
La richesse du film tient au thème de la famille qu’il traite à partir d’une multiplicité de points de vue. Ainsi, l’engendrement des uns par les autres revient à plusieurs moments : le fils disparu Joseph donne naissance à son père Abel (scène initiale), Chiara Mastroianni a « institué » par le mariage Melvil Poupaud en tant qu’homme et l’a sauvé, etc. Autre thème fort : celui des liens du sang, symbolisé par la transfusion finale de Catherine Deneuve (« qui reprend ce qu’elle a donné »). Le film peut aussi s’interpréter sous un angle psychanalytique avec la souffrance d’Anne Consigny, ses relations compliquées avec son fils et sa haine envers son frère qui représente le mal absolu et qu’elle a banni. On la voit d’ailleurs chez son analyste et, vers la fin du film, son père lui donne la solution en disant qu’elle a perdu un frère puis en citant un passage de Nietzsche où la recherche de la connaissance se substitue à l’impossibilité de se connaître soi-même. On peut y retrouver la fonction curative de l’art et de la littérature : le personnage d’Anne Consigny est auteur de théâtre à succès.
En outre, le film reprend certaines formes de la mythologie (le prénom « Junon » par exemple) et une théâtralité que l’on retrouve dans les joutes oratoires des différents personnages.
Enfin, le film mobilise brillamment différents arts et connaissances : la musique, la peinture, la littérature, le cinéma, la sculpture et même les mathématiques. C’est tout sauf gratuit et ces références enrichissent la trame et lui donnent une grande épaisseur.
De l’émotion et de la réflexion, que demander de plus ?

Emmanuel F.le 3 juin 2008

 

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