Avertissement
: Dans cet article, une grande partie de l'histoire est révélée
au lecteur (on se croirait dans un article de Télérama…).
Ceux qui désirent voir ce film attendront d'en être sortis
pour lire ceci…
"Compliance", c'est entre la conformité et la soumission.
On aurait traduit le titre par conformité, cela aurait été
trop faible, et soumission, trop fort.
Pourtant, le sentiment dominant à l'issue de la projection,
loin de ces tendances, est plutôt un agacement prononcé,
bien au-dessus de la révolte scandalisée que ce type
de film devrait engendrer.
Le soi-disant policier qui appelle le fast-food pour annoncer qu'une
employée a commis un vol est en réalité un mauvais
plaisantin ou plutôt un dangereux pervers. La jeune femme qu'il
accuse n'est coupable de rien. Mais là n'est pas le vrai sujet
du film… Il se situe dans l'obéissance aveugle de ceux
qui sont communication avec lui et qui pensent en toute bonne foi
qu'il s'agit d'un représentant de l'ordre.
Tant qu'il s'agit de retenir la jeune femme jusqu'à l'arrivée
hypothétique de flics venus l'arrêter (et le spectateur
sait, à mi-parcours, qu'elle ne se produira jamais), on se
dit que la farce est certes de mauvais goût, mais que n'importe
qui pourrait se laisser prendre. Lorsque les demandes du prétendu
policier deviennent particulièrement tordues, on s'interroge,
on fait même plus que s'interroger, c'est l'incrédulité
qui prend le pouvoir. Mais, mais il y a cet encart, en tout de début
de film, qu'on ne peut absolument pas manquer, "inspiré
de faits réels". Et en toute fin de projection, après
que l'indicible se soit produit, il est indiqué que soixante-dix
affaires de cet ordre sont arrivées en l'espace de dix ans.
Soixante-dix, c'est beaucoup, ou pas. Combien de coups de fil ont
échoué ? Combien de personnes de bon sens ont refusé
de faire ce qu'on leur demandait, vrai flic ou faux flic ? Il est
sans doute difficile de connaître ce nombre, mais cela aurait
été intéressant de le savoir, tant le sentiment
d'avoir été manipulé, en tant que spectateur,
est prégnant.
Il est bien montré, au début du récit, qu'il
y a une certaine tension dans le fast-food où aura lieu tout
ce qui va suivre, parce que la veille, la mauvaise fermeture d'un
congélateur a fait perdre une grande quantité de denrées,
de même qu'on fait sentir qu'entre la jeune employée
future accusée et la responsable de l'établissement
qui va gérer l'appel du faux policier, il y a comme une sorte
d'incompréhension, pas un vrai conflit, mais juste ce qu'il
faut pour qu'une méfiance soit possible.
Puis tout ce qui arrive ressemble à un cauchemar éveillé.
La responsable, ses acolytes, la victime elle-même, tous acceptent
l'inacceptable, sans jamais prendre la peine de vérifier l'origine
de l'appel. Mais cette absence de discernement n'est pas le pire.
Aucun personnage ne remet en cause l'autorité, certains l'esquivent,
mais personne n'ose dire que ce qui est demandé dépasse
les limites, et qu'il faut refuser, s'opposer. La façon dont
les personnages raisonnent et font des choix donne l'impression qu'ils
sont comme tout le monde, et certainement pas plus bêtes que
vous et moi. Et de ce fait, le récit culpabilise, il s'adresse
d'une certaine manière au spectateur en lui disant, "vous
n'auriez pas fait mieux, vous êtes tous des moutons dociles".
C'est prodigieusement agaçant, parce que ce n'est pas exact.
Le pouvoir de dire non, d'envoyer paître l'autorité,
de s'opposer, ce pouvoir-là existe et il s'exprime chaque jour,
partout, dans les situations les plus extrêmes comme dans celles
qui semblent anodines. Résistons !