Soit un citadin banal, la cinquantaine 
              toute neuve, pas vraiment malheureux, ni fondamentalement révolté, 
              juste un peu las de son existence, presque sans le savoir. Trop 
              de routine, des rêves envolés, un boulot pas désagréable 
              mais pas enthousiasmant non plus, une femme certes merveilleuse, 
              avec qui l'échange fonctionne encore mais au fond, quelque 
              chose a changé, le désir s'est sans doute émoussé… 
              On pourrait imaginer Jean-Pierre Bacri dans ce rôle-là, 
              ou Alain Chabat, ou bien encore Edouard Baer. Ce n'est aucun de 
              ceux-ci, c'est Bruno Podalydès, le moins médiatique 
              des frères, celui qui réalise et met Denis en scène, 
              le plus souvent. Là, il joue lui-même le personnage 
              qu'il a écrit. Il est formidable, parce qu'il ne fait pas 
              le blasé, ni le déprimé, ni le dédaigneux, 
              il y a quelque chose d'enfantin en lui, une douceur étonnée 
              devant les surprises de la vie. Une sorte d'enthousiasme serein, 
              mais pas exempt d'inquiétude et de caractère. Il ne 
              sait sans doute pas tout à fait ce qu'il veut, mais il a 
              des idées sur ce qu'il ne veut pas. Il se laisse un peu aller 
              par ce qu'il a déclenché, sans forcer, sans refuser 
              les aléas et les imprévus. Beaucoup rêveraient 
              d'être dans cet état de disponibilité, et c'est 
              pourquoi le personnage est touchant, et nous semble très 
              proche.
              Le citadin ainsi décrit (et c'est ce que montre toute la 
              première partie, avec Kiberlain dans le rôle de la 
              femme qui observe son drôle de mari avec un regard mi étonné, 
              mi amusé, mais jamais jugeant) se découvre une passion 
              un peu par hasard, au détour d'un jeu de mots. C'est le kayak, 
              mais on se dit que cela aurait pu être tout autre chose, le 
              parachutisme, le golf, le trekking ou la pêche… et puis 
              non, le kayak ne lui est pas tombé dessus par hasard, c'est 
              exactement cela qu'il lui fallait. Mais pas sur des rivières 
              qui dévalent les pentes, pas avec un casque et une souplesse 
              de jeune homme. Pas vraiment, et même pas du tout. Le kayak, 
              c'est pour la beauté de l'objet, la pureté des lignes. 
              Et le terrain pour le pratiquer, c'est une rivière presque 
              secrète, un coulis d'eau, un tunnel vert, une splendeur délicate 
              absolument pas spectaculaire, mais sacrément dépaysante.
              La suite est délectable, le voyage n'est pas celui qui était 
              prévu, tout s'emballe et s'enlise en même temps, c'est 
              comme un rêve éveillé, un léger cauchemar 
              parfois, et un émerveillement par d'autres aspects. Les rencontres 
              sont étonnantes, pas stupéfiantes, nous ne sommes 
              pas dans le domaine du surnaturel, mais cela frôle l'onirisme, 
              plonge dans le lâcher prise, donne une impression de liberté 
              absolue par rapport aux codes, le récit divague, s'aventure 
              sans se noyer. Certains personnages sont dessinés à 
              gros traits (Brouté et Vuillermoz), la jeune femme (Vimala 
              Pons) manque de charisme, mais on s'en moque, ce rêve en vrai 
              ressemble à la vie, et la vie n'est pas sans faiblesses. 
              Le film tient ses promesses, il fait décoller, sans artifices, 
              avec juste un peu de folie.