Enfin vu, ce documentaire sur
Edward Snowden.
Tout ce qui y est dit ou presque n'est plus une surprise, après
le déluge des révélations qui datent, déjà,
de 2013… C'est donc une petite piqûre de rappel, et
qui peut vous filer un coup de blues, ou bien simplement vous convaincre,
si ce n'était déjà fait, que votre liberté
d'expression, de pensée, de relations avec qui vous voulez,
que vous espériez bien établie dans ce monde dit civilisé,
n'est en réalité qu'un leurre. Tout est sous contrôle
et tant que vous faites ou que vous dites ce que l'on attend de
vous en fonction de votre espèce sociale, tout va bien. Mais
si vous vous écartez… Sachez que vous n'êtes
plus au temps du parchemin scellé. Le moindre message qui
passe par un bout de fil plus ou moins électrique ou sur
une onde portée par le vent (ou par autre chose, sans doute)
est donc susceptible d'être interceptée par la NSA
et toutes les agences de renseignement plus ou moins gouvernementales.
Et que cela peut-il me faire, si je n'ai rien à me reprocher,
me direz-vous… Premièrement, avec un tel argument,
vous feriez un excellent citoyen sous toute forme de dictature.
Deuxièmement, c'est une question de principe. Si vous envoyez
un "je t'aime", ou un "je te déteste",
vous n'avez pas forcément envie que cela soit lu par une
autre personne que celle à qui cela est destiné.
Et puis, si j'ai bien suivi (et ce n'est pas si facile, les échanges
entre Snowden et les journalistes vont vite, c'est parfois technique
et on peut se retrouver largué…), ce qui intéresse
la NSA et ses semblables, ce ne sont pas les individus, mais plutôt
les masses et leurs actions, leurs façons de se rassembler,
de penser, d'échanger. Les "métadonnées"
sont, semble-t-il, les plus prisées par ces agences que n'aurait
même pas imaginé George Orwell. Les métadonnées,
c'est à dire non pas le contenu des échanges, mais
qui sont les destinataires, la fréquence des correspondances
entre les individus, quels sites internet sont les plus visités
par tel ou tel groupe de personnes… Dis-moi à qui tu
parles, je te dirai qui tu es, ce que tu es susceptible d'acheter,
pour qui tu votes, et quelles sont les valeurs pour lesquelles tu
serais capable de te battre.
Comme il est dit dans le documentaire, c'est bien de la Liberté
dont on parle. Au moins, au Moyen-Âge, on n'ignorait pas contre
quoi on était protégé par plus fort que soi,
on n'était pas libre mais on le savait. Maintenant, l'obligation
de se plier à un mode de vie est beaucoup plus pernicieuse.
Votre gouvernement est là pour vous assurer tout un tas de
droits mais en échange de quoi ?
Tout cela n'est vraiment pas simple, et il y a beaucoup d'ambiguïtés
dans cette histoire. Snowden n'a trouvé un refuge qu'en Russie,
qui, comme chacun sait, a à sa tête un type formidable,
honnête, épris de libertés (enfin, surtout pour
lui, les libertés). Et de quoi vit-il, maintenant ? Oliver
Stone veut réaliser un biopic sur lui, on imagine que le
valeureux dénonciateur touchera quelques droits au passage…
Enfin, le documentaire a été récompensé
par un Oscar, donné par l'industrie du Cinéma Américain,
industrie bien sûr totalement indépendante et qui n'a
rien à voir avec les Puissants qui dominent le Monde. Mouais.
Il y a comme quelque chose qui cloche là-dedans.
Pour en revenir au film lui-même, il a assurément le
mérite de poser de multiples questions mais il a aussi de
véritables qualités purement cinématographiques,
il peut se voir comme un film d'espionnage, sans aucune action,
mais qui scotche à l'écran, parce que plus vrai que
nature. Ah non, pardon, pas plus, aussi vrai que nature, puisqu'il
nous est donné de voir des morceaux de l'entretien entre
Snowden et deux journalistes qui a débouché sur un
embrasement international, une crise de confiance phénoménale
entre états. Quatre individus sans cravates et sans armes
dans une chambre d'hôtel pendant une semaine avec même
pas assez de chaises pour tous, et qui menacent l'ordre mondial,
aucun scénariste ne l'aurait imaginé, mais c'est la
réalité.