Le sujet est lourd, d'une actualité
terrible (l'embrigadement de jeunes femmes par des islamistes),
traité, semble-t-il, avec beaucoup de réalisme, jusqu'à
y faire figurer dans son propre rôle l'animatrice d'une association
œuvrant à la fois contre cet embrigadement et pour aider
les jeunes qui ont pu s'en échapper à retrouver une
vie "normale". Le récit de la plongée dans
un trou sans fond vers l'horreur d'une jeune fille cultivée,
éprise de musique, ayant un cercle d'amis, équilibrée
en apparence, est édifiant. Il suffit d'un événement
certes déstabilisant (le décès d'un proche)
mais finalement assez banal pour que la jeune fille se retrouve
peu à peu sans repères, complètement poreuse
à toutes sortes d'aberrations. On comprend comment, de l'autre
côté d'un écran, avec pour seule arme l'échange
par internet, un réseau de recruteurs parvient à repérer
des faiblesses, passagères ou profondes, qui leur permettent
de semer des doutes, des interrogations existentielles qui n'ont
qu'une seule réponse, une rupture radicale avec une société
gangrénée qui débouche sur un engagement total
dans une croisade effroyable.
Le film a la très grande intelligence de montrer deux parcours
en parallèle, celui de cette jeune lycéenne qui perd
pied d'une part, et d'autre part celui d'une autre fille, ayant
sensiblement le même profil, mais qui au dernier moment et
contre sa volonté n'a pas pu rejoindre les islamistes, et
qui est montrée dans un processus de "désembrigadement",
exactement comme une désintoxication.
Dit comme cela, le sujet a tout pour faire fuir, mais le film est
un vrai objet de cinéma, par son double récit, qui
se fait triple, montrant aussi le désarroi d'une mère.
La construction du scénario et le montage, complexes, renvoient
sans cesse le spectateur d'un parcours à l'autre, passant
du désespoir à l'effroi, de l'émotion brute
à la réflexion pointue sur ce qui pousse ces jeunes
sur ces chemins sans issues, d'une mince raison d'espérer
à la lumière, enfin, une renaissance possible…
Le modernisme de la forme, l'énergie qui s'en dégage,
l'aspect complètement cinématographique de l'ensemble,
tout devrait concourir à séduire un public jeune et
le premier concerné. Un immense bravo à la réalisatrice,
visiblement impliquée dans son sujet de façon profonde,
qui livre une œuvre puissante, grave, marquante, sans oublier
de faire du cinéma qui mêle lumière et noirceur.