Film absolument hors normes, ce
"cheval de Turin", en référence à Nietzsche,
est une sorte de parabole sur la fin des choses. La fin des chemins,
des horizons, des arbres ; la fin des mots, de la parole, de la communication
; la fin des plaisirs, des rires (pas UN seul sourire pendant deux
heures et demi…), du bien-être ; la fin de tout ce qui
se mange, la fin de la faim et même de la soif ; la fin de l'eau,
du souffle, de l'air, du ciel ; et puis aussi la fin des histoires,
des personnages, et pour finir vraiment, la fin de la lumière.
Une trentaine de plans séquences seulement, pour montrer le
quotidien terriblement…quotidien d'un vieil homme et de sa fille,
survivant dans une maison rudimentaire, au milieu de nulle part, cernée
par le brouillard, battue par le vent (le budget du film a dû
passer dans un gigantesque système de soufflerie, ou bien c'est
du vrai vent, et on comprend que ça finisse par porter sur
le système…).
Les images dans un noir et blanc pas particulièrement contrasté,
la langue hongroise heurtée pour les très rares dialogues,
la lenteur (à ce niveau-là, ça n'est même
plus de la lenteur, c'est de l'immobilisme), la musique répétitive
et lancinante, tout participe à mettre le spectateur dans un
état soit d'énervement maximum, soit de léthargie
complète (qui peut aller jusqu'au sommeil profond), soit (et
c'est plus rare) de fascination apnéique.
Sans espoir, d'une radicalité absolue, terriblement ambitieux
(il s'agit tout de même de faire comprendre la fin du monde
avec deux acteurs et demi, un cheval, du vent et de la poussière),
l'ensemble donne froid, pas seulement parce que les acteurs sont recouverts
d'un nombre impressionnant de couches de vêtements, ce qui donne
une idée de la température ambiante, mais aussi parce
que ce qui est suggéré, c'est la fin de l'Humanité.
On peut faire plus joyeux, c'est sûr. Plus triste, je ne crois
pas.