Ce qu'il peut se passer parfois,
face à un écran…Un tel sentiment d'osmose avec
ce qui est exprimé, là, pendant un peu plus d'une
heure et demie…
Le souci, ensuite, c'est l'atterrissage, pouvoir rendre compte de
cette émotion, sans être envahi.
Formellement, c'est un film délicat, finalement peu bavard,
où beaucoup de ce qui est dit passe par des regards, des
attentes, des phrases non finies, des gens qui marchent dans des
villes, des musiques légères et mélancoliques,
presque rien, des creux, des vides. Le jeu des comédiens
n'est pas très appuyé, celui d'Anders Danielsen Lie
atteint parfois un tel minimalisme qu'il pourrait paraître
à certains un peu ennuyeux… mais celui de Judith Chemla
est renversant, elle montre tant de fragilité, elle est sans
cesse en équilibre entre d'un côté le désir
de continuer à vivre, une joie non feinte, une recherche
du plaisir, un rapport avec les autres qui ne peut que l'enrichir,
et d'un autre côté une nostalgie des jours anciens,
l'écroulement derrière le sourire, le doute induit
dans tout ce qu'elle fait, dans tout ce qu'elle dit.
C'est un cinéma sans effets, avec un montage qui ne va pas
chercher les contrastes à tout prix, un cadrage pudique qui
n'étale pas sur l'écran des visages ravagés,
des éclairages naturels, un grain de l'image un peu gros…
Les trois villes sont clairement définies, Berlin dans ses
grands espaces, Paris dans sa soif de liberté, New York dans
son effervescence, mais toutes les trois ont en commun une certaine
douceur, due bien sûr à la chaleur de l'été
(une chaleur bienfaitrice, sans impression d'étouffement)
mais aussi à la façon de privilégier les scènes
dans les parcs, les espaces urbains n'ont ainsi aucune agressivité
et l'on a le sentiment de redécouvrir ces villes même
lorsqu'on ne les connaît qu'au travers du cinéma.
Cet été qu'on dirait permanent (en réalité
trois étés de suite, dans chacune des villes) donne
au film une langueur certaine, un rythme doux, la sensation que
tout est possible. Les robes sont légères, les fêtes
se prolongent dehors, le désir n'est jamais très loin.
Et pourtant, sous cette apparente nonchalance, rampe une douleur
infinie, celle de la disparition, de la perte inéluctable.
Mikhaël Hers, le réalisateur, affirme que c'est en été
que l'on ressent avec le plus d'acuité le manque de ceux
qui ne sont plus là. Peut-être a-t-il raison, peut-être
pas, peu importe, il se trouve que dans son film, il donne corps
à cette idée avec une évidence d'une telle
délicatesse qu'on ne peut qu'adhérer.
Si les premières images, sans dialogues, vous emportent,
si le sentiment de l'absence ne vous quitte jamais complètement,
si l'intensité d'un regard ou quelques mots suffisent pour
vous émouvoir, alors cette œuvre de dentelles est pour
vous.