Inarritu a voulu, cette fois-ci,
se passer de son scénariste, et il n’aurait sans doute
pas dû. L’histoire est en effet beaucoup plus simple que
celles de ses trois premiers films (Amours chiennes, 21 grammes et
Babel), presque linéaire, avec un personnage central imposant
joué par Bardem (impressionnant) et quelques autres tournant
autour. C’est donc une histoire où les différents
évènements sont beaucoup moins nombreux que dans les
récits hallucinants concoctés par Guillermo Arriaga.
Cette relative simplicité ne s’accompagne pas pour autant
d’une clarté exemplaire, au contraire des trois films
précédents. En effet, le contexte social, qui faisait
clairement partie du décor dans ses premières œuvres,
sans prendre le pas sur le récit, est ici envahissant. On a
le droit à une vision terrifiante d’une Barcelone qui
ferait fuir n’importe quel touriste potentiel, mettant au premier
plan toute l’économie souterraine basée sur l’exploitation
des émigrants, ici africains ou chinois. Ce qui est montré
peut faire hurler d’indignation, mais au bout de deux heures
et demi, trop c’est trop, tant de misères et d’horreurs
finissent par tuer le propos, on n’y croit plus, la tragédie
a versé dans le grandiloquent et les efforts de Javier Bardem
pour paraître crédible sont réduits à néant
par ce qui peut passer pour du misérabilisme. Inarritu plaque
sur la noirceur du contexte, un personnage mi-ange, mi-ogre, rongé
de l’intérieur, tout en amour et en culpabilité,
terriblement sombre lui aussi. Noir sur noir, pas de contraste.
C’est d’autant plus dommage qu’on retrouve par instants
la brillance d’une mise en scène spectaculaire et efficace,
mais trop souvent noyée dans un flot crépusculaire qui
finit par tourner en rond.