Pourquoi une ambiance vous saisit,
alors qu'une autre vous ennuie au plus haut point ? On peut aligner
les raisons pour lesquelles un film vous plait, on aura toujours
du mal à faire partager son enthousiasme à ceux qui
sont restés au bord de l'émotion ou de la fascination…
Ces bêtes du sud sauvage ne répondent à aucun
critère classique de qualité cinématographique.
Le charme opère -ou pas- de façon mystérieuse,
mais profonde.
Ici, c'est plus le style que l'histoire qui surprend, qui embarque
le spectateur, qui parvient à lui donner une sensation de
douceur moite tout en lui assénant des grandes claques, mettant
en danger son équilibre. Ces bêtes du sud sauvage n'ont
rien, absolument rien de confortable. Et pourtant, on peut s'y sentir
tellement bien…
L'élément liquide baigne tout, les maisons, les corps,
les esprits… Rarement un film n'aura autant donné la
sensation d'être immergé dans un univers humide. Toute
cette eau brille dans l'ombre et la lumière (les deux faces
d'une même goutte ?). Elle représente d'une part la
liberté, celle d'une communauté vivant dans le Bayou,
mais on peut extrapoler et y voir une sorte d'Eden réel,
foutraque, chaotique, une utopie réalisée malgré
la misère et les maladies. Et puis l'eau finit par devenir
une menace, d'abord celle qui tombe du ciel, puis celle qui gangrène
tout et transforme peu à peu l'Eden en enfer, lui aussi bien
réel.
Les deux aspects ne sont jamais bien loin l'un de l'autre, et ce
n'est pas parce que c'est l'enfer que les personnages renoncent
à leur liberté de vivre où ils veulent. Le
Bassin, cet endroit du Bayou situé du mauvais côté
de la digue, où il fait bon vivre parce que les progrès
et les contraintes aberrantes de la vie moderne et aseptisée
ne l'ont pas atteint, est aussi un lieu clos où l'on peut
se sentir enfermé, où l'hygiène n'a pas cours,
où les animaux comme les humains tombent malades et meurent
par faute de soins. Le père élève sa fille
sans interdits, en lui donnant un droit de penser et de s'exprimer,
mais ne la protège de rien, ni des intempéries, ni
de ses démons et de ses fantômes, et encore moins de
lui-même.
La mise en scène épouse cette dualité, cette
fuite en avant immobile, désespérée, désespérante
et merveilleuse, avec une économie de moyens produisant un
maximum d'effets, caméra à l'épaule d'une incroyable
vivacité, jeu d'acteurs débridé, montage contrasté
à l'extrême (douceur et grande nervosité).
Au final, on n'est sans doute pas tout à fait sûr d'avoir
saisi la volonté du réalisateur, une allégorie
du Monde qui va mal et qui nous donne pourtant des éclats
de bonheur intense ? une simple chronique d'un endroit sur Terre
hors du commun ? un prétexte pour faire étalage d'un
style surprenant, dérangeant et virtuose ?
Quelle importance, après tout … juste le plaisir d'avoir
goûté à un bijou de cinéma, c'est déjà
ça !