Le sujet est
bien éloigné (quoique) du très impressionnant
"4
mois 3 semaines 2 jours" qui avait valu la palme d'or à
son auteur, mais une nouvelle fois, il s'agit d'un duo féminin
aux prises avec la folie des hommes. Ici, tout se passe derrière
la colline, dans un couvent d'apparence paisible où l'on vit
dans le dénuement et à l'écoute de la parole
de Dieu, ou plutôt celle d'un fou de Dieu, sans doute sincère
dans sa foi mais qui impose un ordre absurde, sous le prétexte
de laisser le divin "entrer dans son cœur"…
Les sœurs, cloîtrées, voilées, empêchées
de penser, vivant dans une apparente félicité, le sourire
aux lèvres, acceptent cette privation de la personnalité.
Le regard que porte Mungiu sur cette communauté n'est pas caricatural
ou bêtement anticlérical. Le père - ici, il est
orthodoxe parce que nous sommes en Roumanie, mais il pourrait être
catholique en France, protestant ailleurs…- n'est pas un tyran
violent qui tirerait des bénéfices de son autorité,
ou un imposteur cachant quelques sombres secrets, et les sœurs
restent là de leur plein gré, même si pour la
plupart d'entre elles, le retour à la vie normale serait particulièrement
compliqué, socialement et financièrement.
L'histoire qui vient bouleverser cet équilibre est inspirée
d'un événement réel mais Mungiu va bien plus
loin qu'une simple évocation des faits. En plaçant au
centre du récit une jeune femme extérieure à
la communauté religieuse et désirant ramener à
la (vraie) vie l'une des sœurs dont elle est amoureuse depuis
longtemps, c'est bien d'une confrontation entre le spirituel et le
sensuel qu'il s'agit, entre d'une part une élévation
qui n'a aucun sens pour celui qui ne croit pas et d'autre part un
ancrage dans le réel, un amour de chair et d'os, basé
sur l'échange des mots, des idées, des pensées,
des gestes, des corps… Mungiu se situe clairement de ce côté-ci,
il est avec l'intruse et pourtant il n'en fait ni une victime innocente
ni un personnage qui détiendrait la vérité. Elle
ne brille pas par sa douceur, sa délicatesse, son réconfort,
son sens de la mesure, au contraire des sœurs et particulièrement
celle dont elle est amoureuse.
Mais en prenant son temps (deux heures trente !), le réalisateur
parvient à faire sentir toute la complexité des rapports
entre les personnages, confirmant son incroyable sens de la mise en
scène, avec des groupes filmés comme des tableaux, magnifiquement
éclairés et d'une vie intérieure bouillonnante.
Toutes les actrices (et l'acteur aussi) sont complètement investis,
d'une vérité criante, bien loin, très loin du
jeu chichiteux de bon nombre de comédiens d'un cinéma
plus occidental, mieux reconnu et pourtant tellement moins marquant…
Un film magnifique, dont les images restent longtemps en mémoire,
mais qui n'est probablement pas à conseiller pour ceux qui
viennent chercher du divertissement léger au cinéma.
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